Dossier › À plein régime pour Kim Jong-un. Contrôles: des travailleurs nord-coréens sous haute surveillance.
Des réfugiés font état d’un vaste système de sélection et de contrôle
Pour limiter le contact avec les influences étrangères et éviter les défections, le royaume ermite a mis en place un système visant à garder ses sujets dans les rangs. Un système qui se met en branle plusieurs mois avant le départ à l’étranger. Et ne part pas qui veut.
Jong-su (nom fictif), qui a été déployé en Malaisie à la fin des années 1990, puis une seconde fois à la fin des années 2000, a dû passer au travers d’un processus de sélection qui a duré un an.
«Le gouvernement nord-coréen fait une vérification complète des antécédents. Pas juste les miens ou ceux de ma famille immédiate, mais aussi ceux de ma famille élargie et même de mes ancêtres», raconte sur la terrasse d’un café, à Séoul, en Corée du Sud, le Nord-Coréen de 40 ans qui a pris la fuite en 2009. «Toute la famille doit avoir bonne réputation. Aucun membre ne doit avoir tenté de fuir le pays ou avoir commis un crime, politique ou autre. Si c’est le cas, vous ne pouvez pas partir.»
Méfiance envers l’étranger
Vêtu d’un complet gris au sortir de la messe du dimanche, Jong-su se souvient d’avoir suivi des classes d’éducation au cours desquelles on lui répétait que les Américains sont « brutaux et méchants» et qu’ils devaient être considérés « comme des ennemis ».
Rim-il, lui, qui a été déployé au Koweït en 1996, a souvenir de vidéos aux images crues montrant des agents sud-coréens torturer et tuer des Nord-Coréens. «On nous disait de ne pas sortir seuls une fois à l’étranger, car des espions sud-coréens pourraient nous kidnapper pour nous exfiltrer à Séoul, où nous serions maltraités. J’étais terrifié», raconte-t-il autour d’une table remplie de mets chinois.
Comme la plupart de ses compatriotes appelés à travailler à l’étranger, il était néanmoins au ciel de quitter son pays, alors rongé par la famine. « Il y avait tant de gens qui voulaient partir et si peu d’élus », se souvient-il.
L’homme de 50 ans, qui n’aura passé qu’une demi-année sur le chantier d’un ensemble résidentiel dans le désert koweïtien avant de demander l’asile à l’ambassade sud-coréenne, a aussi dû passer des tests de loyauté. «Une fois par semaine, on avait une rencontre au cours de laquelle il fallait confesser ses erreurs et ses faux pas. Deux fois par semaine, il fallait participer à un groupe d’étude sur le régime, l’idéologie et notre leader.
Et, aussi, nettoyer le portrait ou la statue de Kim Il-sung [président-fondateur de la Corée du Nord] et de son fils, Kim Jong-il [président à cette époque]. Tout cela comptait sur ma fiche de points de loyauté.» La personne responsable de la surveillance dans le quartier où il habitait, à Pyongyang, devait enfin confirmer son bon comportement aux autorités.
Processus de délation
Une fois à l’étranger, lui et ses 20 compatriotes devaient là aussi se réunir une fois semaine pour confesser leurs errances, ainsi que celles de leurs collègues. «Les Nord-Coréens sont habitués de se sur veiller les uns les autres», dit-il. Des agents du renseignement nord-coréen pouvaient mener des inspections à tout moment, indique quant à lui Jong-su. «Ça pouvait être n’importe quel membre du groupe, dissimulé incognito. »
Parmi les règles à suivre, il y avait celle de ne pas rencontrer les étrangers seul à seul. «Nous devions être au moins deux», relate encore Jong-un. Mais la règle s’assouplit lorsque l’on grimpe dans la hiérarchie, précise-t-il. «En tant que superviseur, j’étais autorisé à circuler plus librement et à rencontrer des Malaisiens, mais seulement dans un contexte professionnel», explique celui qui coordonnait un chantier de construction routière employant 200 Nord-Coréens.
«En réalité, je trouvais des moyens pour les voir à l’extérieur du travail… Mais pour les ouvriers qui vivaient sur le chantier, c’était impossible. Lorsque c’était l’anniversaire de l’un d’eux, moi ou un collègue superviseur allions au marché pour lui acheter un gâteau. »
Comme des otages
Proscrits, aussi, les produits culturels étrangers. Visionner les séries ou films sud-coréens était un délit particulièrement grave. Davantage que les films américains, par exemple, indique Jong-su, qui affirme du même souffle en avoir consommé en catimini. Chose que, là encore, les ouvriers contraints de vivre sur le chantier ne pouvaient se permettre.
Tout juste adulte lors de son premier déploiement, le réfugié qui aspire aujourd’hui à se joindre à la fonction publique sud-coréenne n’avait alors ni femme ni enfant. «Une exception», dit-il. Pyongyang ne déploie normalement à l’étranger que des gens mariés avec enfants, même s’ils partent seuls.
Tels des otages, époux et enfants sont retenus au pays afin de dissuader ceux qui auraient l’idée de prendre la fuite, car des représailles attendent ceux-ci en cas de défection.
Lorsqu’il était encore à Pyongyang, Rim-il se souvient d’avoir entendu des histoires de familles expulsées hors de la capitale et de personnes mises à pied après qu’un proche eut pris la fuite.
Jong-su est parvenu à divorcer in extremis avant de filer vers l’ambassade sud-coréenne en Malaisie, épargnant ainsi sa famille. Mais Rim-il, marié et père d’une fille de deux ans, n’en a pas eu l’occasion. Tous deux n’ont aucun moyen de savoir ce qu’il est advenu de leurs proches…
Pour compliquer d’éventuelles défections, Rim-il et Jong-su affirment que les Nord-Coréens voient leur passeport confisqué dès leur arrivée à l’étranger. Une pratique signalée par l’ONG Database Center for North Korean Human Rights dans un rapport publié fin 2016 sur les travailleurs nord-coréens en Mongolie, et confirmée au Devoir par plusieurs sources locales.
Silence au retour
Pour compliquer d’éventuelles défections, le passeport des Nord-Coréens est confisqué dès leur arrivée à l’étranger
Alors que des dizaines de milliers de Nord-Coréens continuent de remplir les coffres du régime de Kim Jong-un, quel sort attend ceux que la Mongolie, la Pologne ou le Sénégal renvoient au bercail ?
Après son premier déploiement à l’étranger, Jong-su était sommé de se rapporter jour après jour auprès des autorités pour noircir des pages de confessions. Mais grâce aux sous qu’il avait mis de côté, il s’est épargné cet exercice «très irritant» en versant un pot-de-vin de 1000$.
Quoi qu’il en soit, «vous ne parlez jamais aux autres de ce que vous avez vu à l’étranger, dit-il sans réserve. Quand on me demandait: “Comment c’était en Malaisie ?”, je répondais que ce n’était pas bien différent de chez nous. Il faut se taire ou mentir… à moins que vous ne cherchiez les ennuis».