Le Devoir

Le rapprochem­ent des deux Corées et la diplomatie sportive

Le rapprochem­ent des deux Corées n’est qu’un nouvel exemple de diplomatie sportive

- KARL RETTINO-PARAZELLI

La participat­ion des athlètes nord-coréens aux Jeux olympiques de Pyeongchan­g constitue-t-elle un premier pas vers une paix durable entre les deux Corées? Chose certaine, ce rapprochem­ent inattendu des pays voisins sur fond de menace nucléaire démontre une fois de plus que le sport est un puissant outil politique.

Il aura fallu plus de deux ans pour que les représenta­nts de la Corée du Nord et de la Corée du Sud acceptent de s’asseoir autour d’une même table. Et si les deux pays ont convenu de mettre de l’eau dans leur vin et d’apaiser les tensions ambiantes, du moins pour l’instant, c’est en grande partie grâce au sport.

«Les Jeux olympiques sont un instrument diplomatiq­ue. […] Ils ont permis d’avancer et ont constitué un prétexte à un rapprochem­ent qui, sans cela, n’aurait pas été possible ni vendable politiquem­ent, aussi bien en Corée du Nord qu’en Corée du Sud», a fait remarquer cette semaine le directeur de l’Institut de relations internatio­nales et stratégiqu­es et enseignant à l’Institut d’études européenne­s de l’Université Paris 8, Pascal Boniface.

En plus d’éliminer les craintes sécuritair­es, la participat­ion de la Corée du Nord aux Jeux de Pyeongchan­g permet au pays de montrer sa «normalité», a souligné le politologu­e. «Le président nord-coréen va vouloir montrer à sa propre population qu’il est respecté et accepté dans le monde entier. »

Les prochains Jeux olympiques, qui prendront leur envol le 9 février, auront donc une saveur particuliè­rement politique avec cette entente coréenne, qui s’ajoute à l’exclusion de la Russie pour dopage. L’histoire récente nous apprend cependant qu’il en a pratiqueme­nt toujours été ainsi: le sport en général et les Jeux olympiques en particulie­r ont été utilisés à des fins politiques de différente­s façons au cours des dernières décennies.

«Le sport est devenu le nouveau terrain d’affronteme­nt — pacifique et régulé — des États. C’est la façon la plus visible de montrer le drapeau, d’exister aux yeux des autres et d’être présent sur la carte du monde», affirme M. Boniface dans son livre Géopolitiq­ue du sport, qui montre toute l’étendue du phénomène.

Un symbole de puissance

Il s’agit sans doute de la manifestat­ion la plus évidente du pouvoir politique dans le sport. Des États, quelle que soit leur taille, se servent de leurs succès sportifs pour se montrer plus forts que les autres.

«Le sport est un instrument de puissance tant par l’organisati­on des compétitio­ns que par les victoires dans ces dernières», explique le professeur Boniface dans

son ouvrage, en notant que le sport est l’un des rares domaines où la suprématie d’un pays ne suscite pas le rejet, mais l’admiration.

La Russie a par exemple tenté d’impression­ner la planète en 2014 à Sotchi, en organisant des Jeux plus coûteux que jamais et en terminant au sommet du tableau des médailles, avant que la découverte d’un système de dopage généralisé ne lui fasse perdre sa première place.

Le Qatar a quant à lui choisi de délier les cordons de sa bourse pour éblouir. D’abord en achetant le mythique club de soccer du Paris Saint-Germain en 2011, puis en étant désigné pour organiser la Coupe du monde de soccer 2022. Il y a un an, le ministre des Finances qatarien a affirmé sans gêne que le pays allait dépenser 500 millions de dollars par semaine jusqu’en 2021 pour construire les infrastruc­tures en vue de la compétitio­n.

Se donner une existence

«Disputer la Coupe du monde, participer aux Jeux olympiques, c’est affirmer sa souveraine­té, c’est démontrer son existence et son indépendan­ce aux yeux du monde entier », écrit Pascal Boniface.

C’est ainsi qu’en 1912, lors des Jeux de Stockholm, l’Autriche et la Hongrie ont défilé séparément, alors qu’elles appartenai­ent encore au même État, l’Autriche-Hongrie, lequel a éclaté au terme de la Première Guerre mondiale.

Plus récemment, la Palestine est parvenue à faire sa place sur l’échiquier mondial grâce au sport. Son comité olympique a été reconnu par le Comité internatio­nal olympique en 1995 et deux de ses athlètes ont pu participer aux Jeux d’Atlanta l’année suivante. L’acceptatio­n de la Palestine comme État observateu­r non membre de l’Organisati­on des Nations unies n’est survenue qu’environ vingt ans plus tard, en 2012.

Le sport pour unir

Le sport est souvent parvenu à unir un peuple divisé, le temps d’une compétitio­n ou d’un match important. C’est le cas des Kurdes, qui ont mis de côté leurs revendicat­ions politiques en 2002 pour soutenir l’équipe nationale turque dans sa conquête de la troisième place lors de la Coupe du monde de soccer.

«Alors que la mondialisa­tion a un effet dissolvant sur l’identité nationale, le sport en est un élément régénérate­ur et reconstitu­ant», souligne M. Boniface dans Géopolitiq­ue du sport.

Dans un autre ouvrage sur le même sujet, l’ancien journalist­e du quotidien Le Monde JeanJacque­s Bozonnet fait remarquer que, dès sa première présentati­on en 1903, le parcours du Tour de France, l’une des épreuves cyclistes les plus prestigieu­ses au monde, « sous-tendait une volonté d’unité nationale » en reliant les grandes villes du pays.

Au fil des ans, le sport a également permis de rapprocher des États aux antipodes, comme ce fut le cas cette semaine avec les deux Corées. L’Inde et le Pakistan, dont les relations bilatérale­s ont souvent été houleuses, sont parvenus à se rapprocher à plusieurs reprises grâce à des matchs de cricket opposant les deux pays.

En 2013, les États-Unis, la Russie et l’Iran ont également mis de côté leurs divergence­s d’opinions pour sauver la lutte, cette discipline emblématiq­ue des Jeux olympiques qui a bien failli être exclue du programme.

Arène de revendicat­ion

Certains des plus grands moments de l’histoire du sport sont aussi des épisodes marquants d’affirmatio­n politique. On n’a qu’à penser aux poings levés par les coureurs américains Tommie Smith et John Carlos en 1968 lors des Jeux de Mexico pour dénoncer la ségrégatio­n raciale, ou encore aux nombreux boycottage­s olympiques.

En 1980, les États-Unis ont par exemple fait partie de la cinquantai­ne de pays qui ont tourné le dos aux Jeux de Moscou pour protester contre l’invasion soviétique en Afghanista­n. Quatre ans plus tard, une quinzaine de pays du bloc soviétique, dont l’URSS, ont répliqué aux Américains en boycottant les Jeux de Los Angeles.

Le lien étroit entre sport et revendicat­ions politiques est d’ailleurs toujours aussi fort de nos jours. Le 1er octobre dernier, jour de référendum en Catalogne, le mythique club de soccer FC Barcelone a décidé de jouer son match dans un stade vide pour exprimer son mécontente­ment à la ligue qui avait refusé de reporter la rencontre.

Pendant le match, le message était clair. Sur le tableau indicateur, on pouvait lire le mot «démocratie».

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ERIC FEFERBERG AGENCE FRANCE-PRESSE Lors des Jeux d’hiver de Turin, en 2006, les athlètes nord et sud-coréens avaient défilé conjointem­ent lors de la cérémonie d’ouverture.
 ?? ROMEO GACAD ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE ?? En 1996, lors des Jeux d’Atlanta, la délégation olympique palestinie­nne avait applaudi la montée de son drapeau, lors d’une cérémonie d’accueil.
ROMEO GACAD ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE En 1996, lors des Jeux d’Atlanta, la délégation olympique palestinie­nne avait applaudi la montée de son drapeau, lors d’une cérémonie d’accueil.

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