Mongolie: bouches cousues et pieds liés.
Pendant sept années, Yumjir, une ouvrière mongole, a travaillé aux côtés de 20 à 40 travailleuses nord-coréennes dans une usine de cachemire à Oulan-Bator. Une surveillante nord-coréenne rôdait toujours sur le plancher, se souvient-elle. En sa présence, ces employées évitaient de parler aux autres travailleuses, raconte la femme dans la jeune cinquantaine, attablée dans sa cuisine après un quart de travail, frottant son visage avec ses mains comme pour effacer sa fatigue.
«Parfois, on les taquinait en badinant sur leur leader ou leur régime. Elles se fâchaient à tout coup et disaient qu’on ne savait pas de quoi on parlait. Elles étaient toujours en contrôle», explique-t-elle au Devoir. Mais jamais elles ne critiquaient leur gouvernement, d’ajouter la dame entre deux lampées de thé.
Pour Yumjir, impossible de fréquenter ses collègues à l’extérieur de l’usine, où une voiture les transportait tous les jours depuis l’appartement qu’elles partageaient. À une exception près, à l’occasion de l’anniversaire d’une collègue nord-coréenne, se souvient-elle.
«Les gardiens de sécurité au bas de leur appartement nous ont autorisées, moi et cinq collègues mongoles, à entrer. Nous avons partagé un peu de nourriture et lui avons remis un cadeau. On ne s’est pas dit grand-chose. La télé était allumée et syntonisée à la chaîne nord-coréenne, la seule qu’elles avaient. Après une heure, les gardiens sont montés pour nous dire que nous devions partir.»
Lors du dernier quart de travail des Nord-Coréennes, plusieurs pleuraient, raconte encore Yumjir. «C’était un moment émouvant pour tout le monde. Mais depuis, aucune nouvelle. Nous n’avons aucun moyen d’entrer en communication avec elles. »
Conversations laconiques
Contrairement à leurs compatriotes qui triment dans les chantiers de construction ou les usines de cachemire, les Nord-Coréennes qui servent les clients dans les restaurants doivent régulièrement entrer en contact avec les étrangers. Mais comme nos visites dans ces établissements l’ont démontré, les conversations y sont limitées au strict minimum.
À l’une des trois tables nord-coréennes qui ont pignon sur rue à Oulan-Bator, une serveuse dans la jeune vingtaine vêtue d’une impeccable robe noire prend les commandes des Mongols, Chinois et même des Sud-Coréens attablés. Un téléviseur accroché au mur diffuse en boucle des concerts de musique nord-coréenne jouée par des femmes en habits traditionnels.
La serveuse vient à notre table, où je suis le seul Occidental présent, avec un sourire étudié qui ne vacillera jamais. Des questions banales lui sont adressées: «Quel âge avez-vous? D’où venez-vous? Depuis quand êtes-vous ici?» Toutes sont esquivées. Au mieux apprend-on qu’elle est bel et bien Nord-Coréenne, qu’elle a vécu à Pékin et, à l’entendre lorsqu’elle s’adresse aux autres clients, qu’elle parle mongol, chinois, en plus du coréen.
Au moment de payer l’addition, une dernière question: combien de Nord-Coréens travaillent dans ce restaurant? La serveuse agite délicatement son index de gauche à droite, signalant qu’elle ne répondra pas. Puis, avec le même sourire étudié, elle remercie le client inquisiteur d’un timide « thank you », avant de le diriger poliment vers la sortie.