La recherche médicale doit beaucoup à Jacques Genest
« On n’insistera jamais assez sur l’importance qu’a eue Jacques Genest pour la recherche médicale au Québec», relate le cardiologue Yves Morin, de dix ans le cadet de son illustre collègue décédé le 5 janvier dernier. «On ne dira jamais assez, aussi, sa force de persuasion pour convaincre les pouvoirs politiques en place de l’importance de soutenir la recherche médicale. »
Le Dr Genest avait poussé fort en 1965 sur le dossier de la création d’un centre médical à l’Université de Montréal (l’équivalent d’un CHUM avant la lettre), dont la naissance ne cessait d’être reportée… Dans un livre coup-depoing écrit sur le sujet par des collègues médecins, et où il signait la préface, Genest avait lancé, manifestement excédé: «Rares sont les espèces biologiques dont les périodes de gestation dépassent 18 mois. Il y a bien l’Elephans maximus d’Asie dont la gestation peut atteindre deux ans. Mais, chez les Canadiens français, une entité appelée Centre médical de l’Université de Montréal, conçue il y a déjà 38 ans, est encore en période de gestation. Tous les experts consultés sont unanimes [:] l’accouchement doit être provoqué […]. »
Ce leader né, formé en médecine à l’Université de Montréal et successivement spécialisé à la Harvard Medical School et au Rockefeller Institute de New York, n’avait évidemment pas son pareil pour faire bouger les choses…
«En 1951, confie-t-il à un journaliste de la revue Forces, je revenais de mon stage de trois ans à l’Institut Rockefeller de New York […] Et j’ai alors reçu un appel de Mère Allard, la directrice générale de l’Hôtel-Dieu. Elle voyait beaucoup plus loin que les médecins et voulait créer un département de recherche. Elle m’a demandé quelles seraient mes conditions. Je voulais être à salaire à plein temps, et obtenir le contrôle total de mon laboratoire et de mes recherches cliniques. Elle a accepté […].» La chose avait alors constitué une première historique pour un hôpital québécois francophone.
Former les jeunes chercheurs
Dès la toute première réunion du Club de recherches cliniques du Québec, une autre de ses créations, née celle-là en 1959, Genest avait continué à enfoncer le même clou: il fallait donner à la recherche médicale francophone un ensemble de structures spécifiques dont elle avait un besoin urgent pour la formation de ses jeunes chercheurs.
Il avait donc formé «un comité afin d’étudier la question des laboratoires de recherche et des unités métaboliques dans les hôpitaux» (à l’image de son initiative pionnière à l’HôtelDieu). Ce comité allait rapidement accoucher de recommandations qui seraient promptement acheminées au ministre de la Santé d’alors, M. Arthur Leclerc. «Nous y demandions que la recherche médicale soit une des principales préoccupations des gouvernements», écrit Genest, dans son autobiographie.
«Nous souhaitions que le financement des départements et des laboratoires de recherche dans les centres hospitaliers universitaires soit en partie inclus dans les budgets de l’assurance hospitalisation, poursuit-il. […] Nous réclamions qu’une proportion de 1 à 2% du budget de l’assurance hospitalisation soit consacrée à la recherche clinique. »
Dans ses pages autobiographiques, Genest partageait ce constat de la situation d’ alors :« Le principal problème de la recherche biomédicale au Québec résidait dans le fait que les Canadiens français n’avaient pas atteint encore les standards scientifiques voulus pour pouvoir obtenir les fonds dont ils avaient besoin pour progresser.» Selon lui, pour arriver à ces fins, le Québec devait faire comme Ottawa et «créer à même le budget de la province un fonds spécial destiné à la recherche biomédicale. […] J’ai donc commencé à militer en faveur de ce nouveau projet », écrit-il. Ce n’était alors plus qu’une question de temps, voire de circonstances favorables, avant que n’apparaisse le Conseil de recherches médicales du Québec (CRMQ.)
«Un Québec Ph. D.»
Le « démarcheur » sera à même de constater que l’esprit de la Révolution tranquille, qui soufflait alors à plein régime sur le Québec, était d’une rare puissance puisqu’il accéléra les choses au point où la création officieuse du Conseil de recherches médicales du Québec (CRMQ) se fit dès septembre 1963 et fut «annoncée publiquement en mai 1964 ».
«Premier organisme subventionnaire québécois à voir le jour », le CRMQ mettra l’accent sur la formation et l’établissement des jeunes chercheurs. «Il s’agissait là d’une victoire importante pour le Québec, résume un commentateur de l’époque. Car en aidant les jeunes chercheurs d’ici à démarrer leurs premières activités, c’est toute la structure même de la recherche québécoise en santé qui [s’en trouvait] renforcée. »
De ce parti pris nécessaire naîtra bien vite, en 1974 (sous la présidence du Dr René Simard), le colossal Programme des chercheurs boursiers, unique encore aujourd’hui sous cette forme en sol canadien, où les candidats choisis — M. D. ou Ph. D. — voient leur travail de recherche soutenu par des fonds publics jusqu’à un maximum de 12 ans. Suivront respectivement, en 1977 (également avec le Dr Simard) et en 1993 (sous la présidence cette fois du Dr Fernand Labrie, légende vivante de la recherche à Québec), deux autres programmes phares de l’organisme (Centres et Instituts, Groupes et Réseaux), qui se sont chargés, depuis, de rendre pérennes les efforts initiaux du Dr Genest.
«En créant cette structure de recherche en santé en 1964, le Dr Genest a semé les graines d’une belle réussite, déclarait le Pr Yves Joanette, douzième président en titre de l’organisme (2009-2011), lors du 50e anniversaire du FRQS (1964-2014). Je suis certain qu’en faisant cet investissement initial, le fondateur avait en tête l’accroissement de notre masse critique de chercheurs et le rôle que ces femmes et ces hommes seraient appelés à jouer dans une société du savoir. À mon sens, Jacques Genest fut moins un précurseur d’un «Québec Inc.» que d’un « Québec Ph. D. ».