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La municipali­té de 63 000 habitants se révèle un haut lieu québécois du néon

- BENOIT LEGAULT

Notre centrevill­e est stable et présente quelque chose d’immuable, ce qui est très rare. Cette stabilité a assuré dans une grande mesure la préservati­on de l’affichage des années 1950, 1960 et 1970. RICHARD RACINE

À88 kilomètres à l’est de Montréal, une ville affiche un grand patrimoine vivant d’enseignes au néon typiques des années 1950, 1960 et 1970. Granby, 63 000 habitants, présente de manière spontanée et non organisée de nombreuses affiches de commerces d’hébergemen­t et de restaurati­on qui semblent ne pas avoir changé depuis plusieurs décennies.

«Granby a perdu beaucoup de son patrimoine du XXe siècle, mais moins que la plupart des autres villes du Canada», note Richard Racine, ex-directeur général de la Société d’histoire de la Haute-Yamaska (retraité depuis trois ans).

«Il faut dire qu’on avait beaucoup d’affiches au néon, plus que les autres villes, car un grand fabricant d’éclairage commercial, St-Onge Néon, était basé à Granby et son propriétai­re, Jean-Louis Tétreault, a été maire de la ville de 1969 à 1973, durant l’apogée de ce type d’affichage.»

Économie stable et forte

Granby est surtout connue pour son zoo, mais son économie forte est basée sur son parc industriel. Et cette économie est demeurée stable au fil des dernières décennies, permettant aux commerçant­s du centre-ville de pérenniser leurs commerces.

«Notre centre-ville n’est ni dynamique ni en panique. Il est stable et présente quelque chose d’immuable, ce qui est très rare, dit M. Racine. Cette stabilité a assuré dans une grande mesure la préservati­on de l’affichage des années 1950, 1960 et 1970. Il y a aussi le fait que la plupart des commerces du centre-ville appartenai­ent à des gens de Granby, qui n’étaient pas por tés à changer les choses comme des gens qui viendraien­t de l’extérieur. »

Rapidement, le petit empire granbyen du néon s’est étendu vers l’ouest, notamment vers les motels qui accueillen­t les touristes arrivant par la route provincial­e 112.

Aujourd’hui, la plupart des automobili­stes arrivent par l’autoroute 10, mais des motels ont survécu, de même que leurs panneaux lumineux si typiques de l’Amérique du Nord mid-century. Cette survivance est maintenant menacée, selon M. Racine.

« Le patrimoine est plus en danger quand l’économie va bien, car les gens veulent alors moderniser, rénover. C’est le plein-emploi en ce moment et on voit l’arrivée de nouveaux commerçant­s qui pourraient vouloir changer des choses, explique Richard Racine. Même les commerçant­s qui veulent garder leurs enseignes au néon ont des contrainte­s, car il est de plus en plus difficile de s’en procurer et de les faire réparer. »

Protection pour nostalgiqu­es

Aux États-Unis, le patrimoine néon est protégé dans certaines villes, qui y voient un attrait touristiqu­e. Beaucoup de touristes américains adorent se retrouver dans des environnem­ents nostalgiqu­es, notamment à Wildwood (New Jersey), Tucson (Arizona), Palm Springs (Californie) et bien sûr Las Vegas (Nevada).

Contrairem­ent à ces villes américaine­s, le patrimoine néon de Granby s’est conservé de manière toute naturelle, par un concours de circonstan­ces favorables.

« Les enseignes au néon de Granby n’ont pas de désignatio­n historique. Leur prévalence s’est faite de manière naturelle, alors personne n’en fait la promotion. Les néons qui constituen­t de fortes identifica­tions commercial­es, comme celui du restaurant Chez Ben on s’bour la bédaine, seront protégés à cause de leur valeur commercial­e, mais j’ai peur que les autres disparaiss­ent», dit M. Racine. À Montréal, Héritage Montréal a participé à la défense de la fameuse enseigne au néon Farine Five Roses, qui est devenue un des symboles principaux de la ville. À Granby, il faudrait que les autorités reconnaiss­ent la valeur historique et commercial­e de ce patrimoine inhabituel pour qu’il soit protégé de manière systématiq­ue et permanente, pense M. Racine.

Volonté publique

Même aux États-Unis, les néons sans protection disparaiss­ent du paysage urbain. New York a perdu une bonne partie de ses néons. Les néons coûtent cher à entretenir et ils cadrent souvent mal dans des règlements municipaux restrictif­s qui visent l’uniformité de l’affichage des cités.

Tucson a un programme de préservati­on de ses néons jugés historique­s, tandis que Wildwood fait fortement la promotion de ses quartiers aux nombreux affichages de néons. Mais on ne trouve rien de tel au Québec. «On n’a pas ça ici. Il y a une réelle et désolante absence de préoccupat­ion du patrimoine dans la région de Granby et dans tout le Québec. Granby n’a pas de musée municipal, ni même de centre d’interpréta­tion de son histoire. Granby a beaucoup de bons restaurant­s et d’excellents événements touristiqu­es, mais le tourisme n’a pas ici la profondeur qu’il devrait avoir compte tenu de la riche histoire de la région », conclut M. Racine.

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NANCY MORIN Le célèbre Chez Ben on s’bour la bédaine est connu à travers la province.
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MICHEL ST-JEAN BENOIT LEGAULT L’affiche du motel Bonsoir symbolise une époque révolue mais encore vivante dans la région de Granby. Le théâtre Palace est le site principal du Festival internatio­nal de la chanson de Granby.
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BENOIT LEGAULT L’enseigne du restaurant Trudeau est impression­nante.

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