Donner corps à de la résistance
Place à des oeuvres chorégraphiques qui contrecarrent les standards dominants
Certains ont choisi de se distancier de la virtuosité spectaculaire
Engagés contre les formatages induits par nos sociétés de consommation, bon nombre d’artistes de danse, au lieu de concevoir des échappatoires au réel, continuent de se mesurer à lui avec vigueur. Trouvant dans la résistance aux diktats du divertissement une énergie et un terreau fertile pour la création, des chorégraphes tentent de tirer leur épingle du jeu cette saison. Certains se distancient de la virtuosité spectaculaire, tandis que d’autres en usent et la détournent pour faire surgir des corps en mouvement une beauté hors norme, vulnérable et réflexive.
L’événement Résistances plurielles à l’Agora de la danse donnera le ton en début de saison. Trois pièces déplacent les spectateurs hors du confort de leur siège pour une plus grande proximité avec les danseurs. Aux côtés des installations chorégraphiques de George Stamos et Peter Quanz, Icône Pop, pièce très attendue de Mélanie Demers, s’attache à l’histoire des femmes et à leurs représentations. Établissant un parallèle entre les images iconiques des saintes et des superstars de la pop telles que Beyoncé, la chorégraphe montréalaise se glisse dans la peau d’une madone bling-bling. Dans ce solo performatif, la danseuse retrouve la scène en y assumant un corps non entraîné, à contre-courant du corps athlétique et virtuose habituel.
Dans Sang Bleu, Andréane Leclerc et Dany Desjardins feront de la virtuosité
un moyen de toucher aux anormalités et aux irrégularités du corps. En s’appuyant sur la composition et la décomposition de notre enveloppe charnelle, la contorsionniste et le danseur joignent à nouveau leurs langages pour élaborer une vision sensible et non fataliste de la dégénérescence et de l’évolution du corps contemporain. Après le succès des reprises de
Monumental avec Holy Body Tattoo — efficace critique d’une société qui carbure à l’anxiété de performance —, l’artiste Dana Gingras entend poser un corps en rupture avec l’imagerie publicitaire dominante au coeur d’une installation vidéo. An Other est une petite forme qui donnera un aperçu du style et des enjeux qui animent la créatrice, actuellement en pleine élaboration d’une oeuvre à grand déploiement au Centre de création O Vertigo.
Qui d’autre que Manuel Roque pourrait mieux incarner le joggeur compulsif que Jacques Poulin-Denis poussera à l’essoufflement dans
Running Piece ? Après ses bonds et rebonds dans bang-bang au FTA l’année passée, l’interprète se frotte à une nouvelle épreuve d’endurance en se lançant dans une course effrénée sur un tapis roulant. Une pièce qui invite à poser un regard critique sur le culte de la performance et sur nos rythmes quotidiens d’esclaves de la productivité.
S’unir pour résister et survivre
Chorégraphe en pleine ascension venu de Québec, Alan Lake imagine, quant à lui, un univers onirique en s’inspirant du Radeau de la Méduse, macabre chef-d’oeuvre romantique du peintre Géricault. Sans renoncer au spectaculaire avec ces scénographies léchées, l’artiste multidisciplinaire représente des corps qui résistent collectivement à la mort dans des environnements précaires dans Le cri des méduses.
Sur un même thème mais dans un autre registre, les quatre têtes pensantes de Castel Blast (Olivia Sofia, Léo Loisel, Guillaume Rémus et Xavier Mary) installent des corps en lutte pour leur survie dans un paysage apocalyptique jonché de poussière. Après le frénétique Ma(g)ma, première création prometteuse, le collectif se penche cette fois sur la résilience des individus et leur capacité à s’unir pour mieux résister à la violence et continuer d’exister.