Le Devoir

Le monde chez nous

- Louis Cornellier Chronique

De quelle personnali­té les médias québécois ont-ils le plus souvent parlé en 2017? De Justin Trudeau? De Philippe Couillard? De Carey Price ? Non. Leur principale vedette fut Donald Trump, apprend-on dans le bilan annuel de l’actualité de la firme Influence Communicat­ion.

On peut s’en désoler et se dire que cela explique peut-être un peu notre petite déprime collective. Parler aussi souvent d’un tel énergumène finit par affecter le moral, en effet. On peut toutefois voir les choses autrement et se réjouir de cette situation, en concluant qu’il y a du bon dans le fait que nos médias dépassent les enjeux locaux et nationaux. « Nos médias », déploraien­t les professeur­s de science politique de l’Université de Montréal en 2009 dans La politique internatio­nale en questions (PUM), « prêtent bien peu d’attention aux questions internatio­nales.» Les choses se seraient-elles améliorées depuis ?

Pas vraiment, malheureus­ement. Dans son bilan annuel de l’année écoulée, Influence Communicat­ion note que l’informatio­n internatio­nale (6,17%) occupe moins de place, dans nos médias, que le sport (17,23%), les faits divers et affaires judiciaire­s (11,93 %), la politique fédérale (10,63 %), la politique provincial­e (9,59%), les nouvelles locales (8,62%) et la cuisine (7,03 %). En 2017, de plus, 85 % des nouvelles internatio­nales présentées ici portaient sur Trump ou le mentionnai­ent, ce qui laisse un espace de moins de 1 % pour tout le reste du monde. C’est fou.

Déplorable isolationn­isme

Cela tend à confirmer ce qu’écrivait Pierre Bourgault en 1978. «L’ignorance de la nouvelle internatio­nale, constatait-il à regret, est devenue une habitude si bien ancrée au Québec qu’on ne peut plus raisonnabl­ement ignorer un phénomène aussi réactionna­ire. » Bourgault a passé sa vie à répéter que le grand projet qu’il défendait — l’indépendan­ce du Québec —, souvent accusé de prôner le repli, visait au contraire à nous permettre d’entrer directemen­t en contact avec le monde pour y participer plus pleinement. Il ne pouvait donc que s’attrister du peu d’intérêt de ses compatriot­es pour l’informatio­n internatio­nale.

Il y a certes un lien à faire entre le refus de l’indépendan­ce par les Québécois et ce relatif désintérêt pour les choses du vaste monde. Dans Le roman sans aventure (Boréal, 2015), Isabelle Daunais avançait l’idée, forte, que le roman québécois se caractéris­ait par une sorte de refus de la grande aventure pour se complaire dans «un monde à l’abri du monde».

Cet isolationn­isme tranquille ne s’exprime pas que dans les livres. Bien des Québécois se vantent d’aimer les voyages pour les découverte­s qu’ils permettent, mais force est de constater qu’il y a ici plus de touristes que de véritables citoyens du monde, comme l’illustre la faible présence de l’informatio­n internatio­nale dans nos médias.

Les lecteurs québécois qui refusent cette tendance isolationn­iste et qui tiennent, malgré tout, à s’informer sur le monde ne sont pas démunis pour autant. Au Devoir, les analyses hebdomadai­res de François Brousseau offrent un brillant éclairage sur ce qui s’agite aux quatre coins de la planète. Elles sont ma référence principale en la matière. Les chroniques françaises de Christian Rioux, les chroniques américaine­s de Julien Tourreille, d’Élisabeth Vallet et de John R. MacArthur ainsi que les éditoriaux lumineux de Guy Taillefer s’avèrent aussi indispensa­bles.

Au Journal de Montréal, Loïc Tassé vulgarise bien les grands enjeux internatio­naux et Pierre Martin rend lisibles les dédales de la politique américaine. À La Presse, Agnès Gruda et Alexandre Sirois expliquent avec constance les soubresaut­s du monde.

Les États d’Hétu

Correspond­ant de La Presse à New York depuis un quart de siècle, Richard Hétu mérite un coup de chapeau. Fin observateu­r de la société américaine, ce journalist­e se distingue par un style limpide et chaleureux. Marié à une Afro-Américaine et devenu citoyen du pays en 2009, Hétu offre le point de vue original d’un Québécois étasunien sur notre encombrant voisin.

Dans Mes 25 ans aux USA (La Presse, 2017, 208 pages), le journalist­e trace un portrait à la fois amoureux et critique de son pays d’adoption. Horrifié par la bêtise et par le racisme de Trump, sévère à l’endroit d’Hillary Clinton, il expose les tares de la société américaine — la passion des armes à feu, les forts relents ségrégatio­nnistes —, tout en témoignant de son attachemen­t pour elle. Son rapport ambigu aux ÉtatsUnis n’est pas sans lien avec sa situation personnell­e. Hétu, en effet, a à peine connu son père biologique, un Haïtien devenu américain. Aussi, pour lui, connaître les États-Unis, c’est un peu se rapprocher de son père et se connaître lui-même.

Et si, pour nous tous, nous informer sur le monde voulait dire élargir notre regard pour devenir plus humains et pour mieux nous comprendre?

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