L’ombre des mutations
Deux mémoires conser vant deux versions d’une même réalité se côtoient dans cette chronique sociale dressée par Hwang Sok-yong, ex-Coréen du Nord devenu une figure forte de la littérature sud-coréenne : les souvenirs de Park Minwoo, architecte de renom et homme d’affaires établi, réveillés par la lettre que lui adresse Cha Soona et par les récits lointains que cette amie d’enfance l’invite à conjuguer au présent.
Ils venaient du même quartier populaire. Ils se sont rapprochés, puis ont poursuivi des trajectoires distinctes, dans la réussite et l’avancement pour l’un, dans la moyenne et l’ordinaire des masses pour l’autre, au coeur d’un pays dont les mutations rapides se mesurent aussi par les sismographes internes de chaque citoyen.
En passant par ces destins croisés qui se recroisent, le romancier trace les contours d’une Corée qui ne se laisse pas aveugler par les lumières intenses de sa modernité et préfère ouvrir les yeux sur ce qu’elle lui a fait perdre. C’est la stabilité d’un couple, la solidité d’un tissu social renforcée par l’adversité et la solidarité pour Park; c’est la mort d’un fils, les rêves d’un avenir meilleur pour Cha.
Pas d’images d’Épinal dans ce texte solide et franc qui trouve son ciment dans les questionnements habituels de Hwang Sok-yong pour la justice sociale et pour les libertés individuelles, que la pression (ou la bêtise) du groupe vient parfois menacer.
On est loin des figures festives de la K-pop — cette chanson populaire qui, depuis Séoul, fait naître la béatitude du sourire sur les visages de la jeunesse du monde —, un peu plus près des histoires de corruption dans le monde de la construction ou de ces appels à vivre dans un pays qui, en cherchant trop à croire en la beauté du futur, en vient à oublier de prendre soin de son présent pour vraiment permettre à tous d’arriver à cette fin.