Le Devoir

Le prince du bâtiment

Bjarke Ingels, vedette montante de l’architectu­re, entre l’Amérique et la Scandinavi­e

- ANDRÉ LAVOIE

Il vient de franchir le cap de la quarantain­e, mais voilà un bon moment que l’architecte danois Bjarke Ingels voit big, au point de baptiser sa firme, Bjarke Ingels Group (BIG), de ce nom sans équivoque.

Pourtant, à l’adolescenc­e, dans la périphérie de Copenhague, ce garçon doué et paresseux (selon sa mère) rêvait plutôt de bandes dessinées, guère enchanté d’être admis à l’École d’architectu­re. Ce parcours atypique intéresse depuis longtemps Kaspar Astrup Schröder, cinéaste passionné du premier de tous les arts ayant tissé des liens avec celui dont l’empreinte est partout visible dans la capitale du Danemark.

Big Time illustre un moment important dans la vie et la carrière de l’architecte: son grand saut au-dessus de l’Atlantique pour y installer sa firme, et apporter aux États-Unis sa touche « Scandimeri­can », conception dépoussiér­ée du gratte-ciel affichant des formes et des volumes qui dépassent la seule fonction de maximiser l’espace en hauteur. Maître d’oeuvre du 2 World Trade Center, dont la constructi­on est loin d’être achevée, Bjarke Ingels doit multiplier les projets pour rester dans la course, une pression diffuse comme en témoignent toutes ces réunions ponctuées de regards inquiets.

La tête ou le bras

D’autres ombres planent autour de celui qui ratisse New York à vélo ou en limo (lieu de confidence­s et de moments cocasses, comme à la fin, incapable de nouer un noeud papillon), avec souvent un crayon-feutre noir à la main pour illustrer ses idées. Celles-ci surgissent d’une tête fragilisée par un violent coup de bâton de baseball — on n’en saura guère plus —, cause de ses migraines survenant à un moment charnière de sa carrière.

Cet aspect plus dramatique de la vie du créateur est illustré par une série d’images en mouvement issues d’un scanneur, avec ici et là quelques sons stridents, approche ne souffrant pas d’un excès de subtilité. On préférera d’autres moments, intimistes, où Ingels témoigne de ses inquiétude­s quant à l’avenir: celui de sa firme, mais aussi de son intégrité physique. À la sortie d’une clinique, il avoue candidemen­t qu’à choisir entre perdre la tête ou se faire amputer un bras, il opterait sans conteste pour le bras.

Sans trop donner de détails, on comprend que son aventure américaine pourrait, justement, lui coûter un bras, malgré ses réussites, comme le M/S Maritime Museum du Danemark, enfoui dans le sol pour ne pas obstruer la vue sur le célèbre château d’un prince nommé Hamlet, ou le splendide complexe VIA West 57 à New York avec sa magnifique cour intérieure. Tout comme pour ses problèmes de santé ou sa vie sentimenta­le, qui semble inexistant­e jusqu’à l’apparition d’une architecte espagnole réduite à un rôle de figurante, Kaspar Astrup Schröder profite assez peu de sa proximité avec Ingels. Il reste à la surface, lisse, de cet artiste pourtant hanté par la mort, craignant une fin semblable à celle d’autres architecte­s, comme Antonio Gaudí (happé par un tramway à Barcelone) ou Louis Kahn (emporté par une crise cardiaque dans une toilette de Penn Station). La vie d’un prince danois comporte sa part de dangers.

Big Time

Documentai­re de Kaspar Astrup Schröder. Danemark, 2017, 93 minutes.

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MÉTROPOLE FILMS Big Time suit l’architecte danois Bjarke Ingels de Copenhague à New York.

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