Pour grignoter intelligemment
D
ans le petit monde de la restauration, tout le monde connaît tout le monde. Ou presque. Je prends beaucoup de plaisir à suivre les allées et venues des uns et des autres, chefs, sous-chefs, serveurs, sommeliers, plongeurs, ces derniers n’étant pas les moins intéressants, leurs observations donnant toujours une perspective originale sur les établissements où ils travaillent. Une sommelière émérite vient d’arriver chez Boxermans, parlons-en.
Les assiettes m’intéressent prioritairement, mais compte tenu de l’impact que les bouteilles ont sur la facture, j’ai développé un grand intérêt pour le teneron, la négrette et autres cépages exotiques. Parmi les meilleurs sommeliers, Morgane Muszynski occupe le groupe de tête. Elle parle avec ferveur de sa passion et sait parfaitement doser explications et conseils en fonction de votre niveau d’intérêt pour la boisson.
Le menu est le même midi et soir chez Boxermans. Voulant faire économiser mon groupe d’amis franchement porté sur la bouteille, j’optais pour un midi. Vaine tentative, Morgane ayant un tel pouvoir de persuasion qu’au sortir de table, les factures des assoiffés dont je tairais les noms étaient le double et plus de celles de Ron et moimême, l’un abstinent, l’autre frugal. Une bonne sommelière sait comment amener le client faible à pécher; Pierre et Jean-Pierre péchèrent joyeusement.
Et les assiettes? me direz-vous. Très bien si l’on considère que l’espace cuisine de Boxermans est plus petit que la plupart des cuisines de ses clients. De petits plats soignés et divertissants, comme, pour commencer quelques huîtres écaillées avec application ou un plateau de charcuteries et fromages où se mêlent speck italien, bresaola, fromage de chèvre Mascotte, cheddar Irish Porter, cornichons, betteraves, poivrons et aubergines marinés en quantité suffisante pour combler quatre fourchettes.
Ron, expert ès cuisine italienne, s’est extasié devant les gnocchis à la ricotta maison, tomates cerises, poivrons rôtis déglacés au vin blanc, montés au beurre, basilic, roquette et fromage Manchego vieilli 12 mois; nous avons partagé son enthousiasme.
Arrive une portion raisonnable de loup de mer poêlé, accompagné de carottes et de topinambours rôtis, poireaux braisés, purée d’oignon sucrée, sauce émulsionnée au vin blanc et beurre maître d’hôtel.
Suivent deux plats pour amateurs de cuisine non violente, sauf pour les légumes violemment arrachés à la terre nourricière: une belle assiette mêlant brocolis, haricots verts et pesto ; kale frit, épeautre frit, citron poêlé, sauce pesto, purée d’ail noir. Dans un autre plat élégant, des patates douces rôties, sauce babeurre, crème sure et baies de genièvre, ainsi que des choux de Bruxelles frits, vinaigrette miel et piment d’Espelette, grenade et graines de citrouille.
Le pain de la boulangerie Hof Kelsten complète bien la plupart des propositions. À cette adresse-ci également, le chef gagnera à épurer ses assiettes, le mieux, en cuisine comme ailleurs, étant l’ennemi du bien.
En desserts, deux succès: gâteau au chocolat nappé de crème fouettée au bourbon et Angostura et crème brûlée à saveur de bergamote.
P.-S. Je vous souhaite de ne pas voir de schnitzel au poulet sur le menu lorsque vous passerez. Il y en avait malheureusement lors de ma visite. Une assiette aussi laide qu’indigeste.
Boxermans
★★★★ $$ 1/2 1041, avenue Van Horne, 514 495-4000. Ouvert de 8h à 23h, du jeudi au lundi, y compris les brunchs de fins de semaine de 10h à 15h. Midi et soir, une vingtaine de choix au menu pour une moyenne on ne peut plus raisonnable de 8,10$. De la carte des vins, Jean Aubry dit : « Moi, une carte comme celle-là me donne rapidement le prétexte de me caler confortablement sur la banquette pour mieux rêver les vins proposés. Liberté de choix pour des vins bien choisis. »