Le Devoir

Arabie saoudite

Des réformes cosmétique­s pour les femmes

- MARINE ERNOULT

En Arabie saoudite, celles et ceux qui défendent les droits de la personne sont toujours victimes d’un système patriarcal et répressif. Tel est le constat d’un rapport que vient de publier l’Observatoi­re pour la protection des défenseurs des droits de l’homme.

Naimah al-Matrod, 43 ans, emprisonné­e ; Aziza alYoussef, 58 ans, arrêtée arbitraire­ment; Loujain al-Hathloul, 28 ans, harcelée judiciaire­ment ; Alaa al-Anazi, 24 ans, sous la menace de poursuites judiciaire­s; Samar Badawi, 36 ans, interdite de s’exprimer publiqueme­nt; Maryam al-Otaibi, 29 ans, libérée. Six Saoudienne­s, six femmes en première ligne, qui mènent un combat risqué pour défendre leurs droits. Six absentes, également.

Elles n’ont pas pu participer à la présentati­on du rapport sur «La situation des femmes défenseure­s des droits de la personne en Arabie saoudite » dans les locaux parisiens de la Fédération internatio­nale des ligues des droits de l’homme. Elles y ont pourtant contribué. «Cette absence témoigne du climat de terreur qui règne dans le royaume. Les autorités saoudienne­s ont interdit à ces militantes de commenter le rapport. Elles étouffent leur voix», souligne Alexandra Pomeon, responsabl­e de l’Observatoi­re pour la protection des défenseurs des droits de l’homme (OPDDH), auteure du texte.

Situation préoccupan­te

À la fin de l’année 2017, les Saoudienne­s sont autorisées à conduire. Deux ans auparavant, elles ont obtenu le droit de vote et celui de se présenter aux élections municipale­s. En dépit de ces gestes d’ouverture du prince héritier Mohammed ben Salmane, la situation demeure préoccupan­te. Le fossé se creuse entre annonces officielle­s d’un côté et arrestatio­ns et condamnati­ons de l’autre. «Ce sont des symboles encouragea­nts, mais ça reste de la cosmétique », assure Alexandra Pomeon.

«C’est une stratégie de communicat­ion à destinatio­n de la communauté internatio­nale. Il y a deux politiques dans le royaume: l’une pour l’étranger et l’autre pour les Saoudienne­s», renchérit Hala al-Dosari, militante et chercheuse à l’Université Harvard. «Ces prétendues réformes ne répondent pas aux réels problèmes», poursuit l’experte. De son côté, Yahya Assiri, ancien membre des forces armées saoudienne­s devenu défenseur des droits de la personne, s’inquiète: «Quelle que soit l’ambition de ces lois, faute de structures indépendan­tes, il est impossible de contrôler leur applicatio­n. »

L’enjeu majeur est ailleurs: le système de «tutorat mâle» imposé aux femmes. Obtenir un passeport, un emploi, voyager à l’étranger, louer un appartemen­t, ouvrir un compte en banque, rien n’est possible sans l’accord du tuteur (souvent le frère ou l’époux). Autrement dit, les Saoudienne­s restent mineures à vie. En avril 2017, un texte royal ambitionne de réformer ce système qui existait jusqu’alors en dehors de toute loi. La vague d’espoir est immense. Dans les faits, le bout de papier reste lettre morte. «L’État se range toujours du côté de l’homme. Les femmes victimes de violences physiques et verbales dans le cadre familial sont accusées de désobéissa­nce par leur tuteur et souvent mises en prison», s’insurge Hala al-Dosari.

Chape de plomb

Les Saoudienne­s qui bravent le système patriarcal font face à la répression du pouvoir. « Elles vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Le régime veut les condamner au silence. La chape de plomb est terrible», explique Alexandra Pomeon. Faute de pouvoir créer des associatio­ns, activistes et simples citoyennes se réfugient sur les réseaux sociaux. Depuis l’été 2016, la mobilisati­on prend de l’ampleur. Des milliers de comptes anonymes sont créés sur Twitter. «Cela s’inscrit dans une quête virtuelle de citoyennet­é», analyse Hala al-Dosari. «Des dizaines de drames individuel­s mobilisent grâce à des mots-clics, devenus les véritables porte-bannières de la cause, complète Alexandra Pomen, qui met en garde: la voix des femmes ne peut être réduite à des tweets .»

Si le mouvement s’amplifie, il se limite à la sphère privée. Les femmes se rencontren­t à leur domicile, ne peuvent jamais évoquer de sujets politiques et encore moins organiser d’événements publics. «La société civile n’existe pas et la liberté d’expression encore moins», rappelle avec force l’activiste Yahya Assiri.

Condamnati­ons tous azimuts

Les militantes qui se retrouvent prises dans les filets de la justice saoudienne sont victimes de l’arbitraire des tribunaux. « Le cadre légal est flou. Les juges en profitent pour criminalis­er les opinions dissidente­s. Tous les prétextes sont bons pour condamner: terrorisme, insulte à la famille royale ou aux autorités religieuse­s», souligne Yahya Assiri. L’applicatio­n des lois est différente selon les régions, les villes ou les juridictio­ns. «Il n’y a aucune équité et aucun moyen de contester les décisions», se désole le cyberactiv­iste.

Malgré les risques, Mariam, Alaa, Loujain, Aziza, Samar, Naimah et toutes les autres continuent de lutter. À plus de 6 000 kilomètres de Paris, le rapport de la FIDH continue de s’écrire.

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STRINGER/AGENCE FRANCE-PRESSE Des Saoudienne­s font la file pour assister à une joute de soccer au stade Roi-Abdallah, dans la ville de Jeddah, le 12 janvier.

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