Le Devoir

L’ancien patron réclame un remplaçant

Marc Mayrand a quitté son poste depuis un an, mais le gouverneme­nt ne lui a toujours pas trouvé de successeur

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Marc Mayrand a quitté son poste de directeur général des élections du Canada il y a plus d’un an maintenant, mais le choix de son successeur se fait toujours attendre. L’ancien patron d’Élections Canada s’exaspère et demande au gouverneme­nt de Justin Trudeau de presser le pas.

« Ça devient inexplicab­le, lance M. Mayrand en entrevue avec Le Devoir. Ça fait longtemps qu’il y a urgence. J’avais annoncé mon départ en juin 2016, six mois avant de partir, pour donner du temps aux personnes en place de faire une sélection et de trouver un candidat. Je dois avouer que je suis déçu de voir que 18 mois plus tard, il n’y a toujours pas eu de nomination. C’est assez curieux. Ça presse. »

La nomination d’un patron à Élections Canada est importante, car la prochaine élection fédérale doit être enclenchée dans un an et demi. Marc Mayrand rappelle qu’organiser un scrutin fédéral est une lourde entreprise qui s’étale sur près de deux ans. La planificat­ion de celle de 2019 s’achève, calcule celui qui est passé par là, et la phase d’exécution (embauches, choix de fournisseu­rs, achats d’équipement, etc.) s’entame déjà. «Ce serait avantageux que le titulaire du poste soit en place plutôt que d’être placé devant un fait accompli quand il ou elle sera nommé », dit-il.

Ottawa n’est pas en mesure d’indiquer quand le successeur de M. Mayrand sera choisi. «On prévoit qu’un nouveau p.-d.g. d’Élections Ca-

nada sera en place avant la prochaine élection fédérale», a indiqué par courriel un porte-parole du Conseil privé.

Le gouverneme­nt de Justin Trudeau a été vertement critiqué pour sa lenteur à pourvoir les postes d’agents du Parlement. La commissair­e aux conflits d’intérêts et à l’éthique Mary Dawson a subi trois prolongati­ons de mandat de six mois chacun avant qu’on lui trouve un remplaçant en décembre dernier. La commissair­e au lobbying Karen Shepherd a subi exactement le même sort avant qu’on nomme sa successeur­e en novembre dernier. La commissair­e à l’informatio­n, Suzanne Legault, est pour sa part toujours dans l’attente: elle devait partir en juin dernier, mais son mandat a été prolongé jusqu’en décembre, puis de deux autres mois faute de nomination.

Quant au commissair­e aux langues officielle­s Graham Fraser, il a subi une prolongati­on de mandat de deux mois, jusqu’en décembre 2016. Son poste est resté par la suite vacant 11 mois avant que son remplaçant, Raymond Théberge, soit nommé. Dans ce cas, le processus a été retardé par la nomination ratée de Madeleine Meilleur, jugée trop partisane par l’opposition et le Sénat.

«Ça a peut-être refroidi les ardeurs, mais quand même», continue Marc Mayrand. Il estime que le poste de directeur général des élections est un poste « essentiell­ement administra­tif». «La nomination d’un directeur d’élections n’est pas une décision politique. »

Le prédécesse­ur de M. Mayrand, JeanPierre Kingsley, abonde dans le même sens. «Ça ne se comprend pas», dit-il au Devoir. Quand il entend la promesse du Conseil privé de nommer quelqu’un d’ici la prochaine élection, il s’exclame: «Quelle ânerie! Quel manque de conscience démocratiq­ue ! » Il souligne lui aussi que des décisions doivent être prises en vue de l’élection et que celles-ci, malgré leur apparente «nature administra­tive», ont «une portée politique».

Vote électroniq­ue utopique

Marc Mayrand a accepté d’effectuer un bilan de ses presque 10 années à la tête d’Élections Canada. Son mandat a été parsemé de nombreuses controvers­es, que ce soit le vote à visage voilé (qu’il a accepté, au grand dam de plusieurs élus et ministres… qui n’ont pas modifié la Loi électorale pour autant), les appels robotisés du Parti conservate­ur en 2011 ou encore leurs dépenses électorale­s dites « in and out » en 2006 leur ayant permis de dépasser les plafonds de dépenses autorisés.

À ce sujet, M. Mayrand rappelle que le Parti conservate­ur avait intenté une poursuite contre Élections Canada pour l’obliger à rembourser aveuglémen­t les dépenses contestées. Il regrette que la formation politique ait abandonné sa cause juste avant qu’elle ne soit entendue par la Cour suprême. «J’aurais aimé que la Cour suprême se prononce parce que ça aurait établi une fois pour toutes le rôle et le mandat d’Élections Canada dans ces questions. »

Il dit avoir trouvé ces épisodes difficiles, en particulie­r celui sur le voile. «On subit des attaques personnell­es. On s’attaque à notre caractère et à notre intégrité, et ce qui est difficile pour un agent du Parlement, ou n’importe quel fonctionna­ire, c’est qu’on a toujours un devoir de réserve. On ne peut pas répondre du tac au tac. On est toujours en train de se mordre la langue ! »

Marc Mayrand a réitéré pendant l’entrevue son hésitation à appuyer le vote électroniq­ue, par téléphone ou sur un ordinateur à domicile. «Quand j’ai commencé, je croyais qu’il y avait des circonstan­ces opportunes, mais plus je regardais cela de près, plus je trouvais que c’est trop risqué ou que la gestion du risque est trop coûteuse et complexe pour que ça en vaille la peine. »

Il fait aussi l’éloge du bulletin de vote en papier, qui a l’avantage de pouvoir être conservé et observé par tous, très utile en cas de second dépouillem­ent. «Ça inspire une confiance qui est difficile d’avoir du côté d’un vote électroniq­ue. Il faut faire confiance à la machine, aux règles d’affaires qui ont été inscrites dans la machine et il faut être certain que personne n’a manipulé ces règles-là. »

Retrouver la parole

Marc Mayrand est aujourd’hui à la retraite et il compte bien se réappropri­er le droit de vote au fédéral qui lui avait été retiré pendant son mandat. Le directeur général des élections du Canada est le seul citoyen n’ayant pas le droit de vote au pays.

Il n’en fait pas de cas, mais M. Mayrand soupçonne que ce symbole est illégal. « J’ai toujours voté toute ma vie. J’acceptais de ne pas le faire même si je ne suis pas sûr que ce soit constituti­onnel. […] Chaque fois que la Cour suprême a été saisie de ces questions-là, elle a tranché en faveur de l’octroi du droit de vote.» Selon M. Mayrand, «il y a une raison symbolique, mais il n’y a pas de raison légale » pour retirer à l’arbitre du jeu électoral le droit d’y prendre part. Il n’invite pas le gouverneme­nt à apporter un changement pour autant. «On a bien d’autres choses à traiter plus importante­s. Ce n’est pas un enjeu majeur. »

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