Il faut serrer la vis
Le gouvernement fédéral a présenté lundi son avant-projet de loi de mise en oeuvre de la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (GES). Il s’agit d’un pas important, mais qu’on applaudit en grinçant des dents car, encore une fois, les efforts qui seront attendus des gros émetteurs, dont ceux des secteurs pétrolier et gazier, ne seront pas à la hauteur des dangers posés par les changements climatiques.
L’OCDE le dit, Environnement Canada le reconnaît. Au rythme où vont les choses, le Canada ratera sa cible de réduction des émissions de GES, toujours celles du gouvernement Harper, soit une réduction d’ici 2030 de 30 % des émissions totales sous le seuil atteint en 2005. Le projet de loi qui sera présenté au Parlement à la reprise des travaux reprend les engagements pris en mai dernier par Ottawa. Il imposera un prix sur le carbone dans les provinces n’ayant aucune stratégie conforme aux attentes fédérales ou qui n’en remplissent qu’en partie les exigences.
L’entrée en vigueur de ce volet de la politique fédérale est toutefois reportée d’un an. La tarification qui devait être imposée dès janvier 2018 ne le sera qu’en janvier 2019 pour laisser aux provinces retardataires le temps de peaufiner leur approche. Pour l’instant, quatre provinces représentant plus de 85% de la population répondent aux critères fédéraux. Ce sont le Québec, l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique. La Saskatchewan, en revanche, promet toujours de contester l’inter vention fédérale devant les tribunaux.
L’essentiel du projet de loi porte sur la mécanique de la tarification fédérale que pourraient subir les récalcitrantes. On confirme que tout l’argent ainsi récolté retournera à la province, qui pourra l’utiliser à sa guise. Ce qui fait tiquer, cependant, est la façon d’imposer ce prix sur le carbone.
Ce sera un régime à deux vitesses. Les petits émetteurs paieront la totalité de la taxe, mais les gros émetteurs paieront des redevances seulement sur les émissions excédant un seuil fixé par règlement. Ce seuil sera établi par secteur industriel et en fonction de la moyenne des émissions par unité de production de ce secteur, ce qu’on appelle une tarification sur le rendement.
Cela a un effet pervers. La moyenne d’un secteur ayant de fortes émissions mènera à un seuil moins exigeant que si on exigeait de lui une réduction proportionnelle à sa contribution au total des émissions canadiennes. On comprend tout de suite qu’avec le système proposé, les secteurs pétrolier et gazier sauvent la mise. La ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, s’est expliquée en disant que le gouvernement devait aussi tenir compte de la compétitivité de l’économie canadienne.
Il est vrai qu’Ottawa doit composer avec une réalité politique et constitutionnelle complexe et, à sa décharge, le gouvernement Trudeau a effectué un virage par rapport au gouvernement Harper. Il investit dans les technologies propres et les infrastructures vertes et fait preuve d’un leadership qui faisait cruellement défaut au gouvernement précédent, tant sur la scène internationale qu’au Canada. Il a rallié la quasi-totalité des provinces autour d’un plan d’action canadien et pris le risque politique d’imposer cette tarification.
Cela ne justifie pas toutefois d’accommoder encore le secteur des combustibles fossiles, premier émetteur de GES au Canada, ni de continuer à le subventionner. Ces subventions doivent être éliminées et le prochain budget serait une belle occasion pour l’annoncer.
Ottawa doit aussi, comme le lui recommandent l’OCDE, les experts et les groupes environnementaux, confirmer le caractère temporaire de cette tarification sur le rendement et s’engager à adopter rapidement des cibles de réduction des GES plus contraignantes.