Le Devoir

Apaisement ou aggravatio­n des conflits ?

L’année qui commence verra la maturation de tendances qui se dessinaien­t à l’internatio­nal

- SAMIR SAUL Professeur d’histoire à l’Université de Montréal – CERIUM

De la guerre contre la Syrie au face à face sur la péninsule coréenne, en passant par le déchiremen­t de l’Ukraine, l’occupation des territoire­s palestinie­ns et les essais de déstabilis­ation de l’Iran et du Liban, les foyers de non-paix sont multiples et vivaces. 2018 ne marque pas de rupture avec 2017. L’année qui commence verra la maturation de tendances qui se dessinaien­t.

Deux d’entre elles se côtoient. La première résulte des échecs de la politique américaine et ouvre des perspectiv­es d’apaisement de certains conflits, sinon leur règlement. La seconde sourd du charivari sur le sort de la présidence de Donald Trump et porte en elle des risques pour la sécurité mondiale. Comme les deux visages de Janus, la scène internatio­nale est dichotomiq­ue: les éléments favorables à la paix sont appariés à des éléments qui la menacent.

Qu’ont en commun les pourparler­s d’Astana sur la Syrie et le dialogue entre les deux Corées ? La superpuiss­ance américaine en est l’absent de marque. Plus exactement, elle n’est pas conviée. La significat­ion de ces faits nouveaux se dégage lorsqu’on les met en contexte.

Épicentre des conflits internatio­naux, la Syrie a été le terrain d’applicatio­n à grande échelle de la guerre par procuratio­n, les sous-traitants étant des milices djihadiste­s. Leur défaite, qui est aussi celle de leurs commandita­ires sous l’égide américaine, est en train d’être actée. C’est peu dire que les commandita­ires, maîtres d’oeuvre de cette guerre, ne sont pas acquis à une solution politique. Les États-Unis conservent une capacité de nuisance, des bases militaires illégales et des velléités de partage de la Syrie par l’intermédia­ire des Kurdes. La mise à l’écart de cette puissance étrangère à la région est un préalable au processus de paix d’Astana, qui débute en 2016 et qui réunit trois grands pays de la zone: la Russie, l’Iran, la Turquie.

Les linéaments d’un scénario similaire se dessinent sur la péninsule coréenne. Logés sur un autre continent à des milliers de kilomètres, les États-Unis régentent les rapports entre les deux Corées. Leur substance se résume à l’affronteme­nt, aux fulminatio­ns théâtrales et aux exercices simulant l’invasion de la Corée du Nord. L’acquisitio­n d’armes nucléaires et de missiles balistique­s par Pyongyang équivaut à un facteur de dissuasion qui annule l’impunité états-unienne et ouvre la voie à une éventuelle prise en charge de leur destin commun par les deux Corées. D’où leur rencontre le 9 janvier, en l’absence des États-Unis, qui renoue un dialogue rompu depuis longtemps.

Autre terrain possible de règlements régionaux: l’Europe, flasque entité que Washington a beau jeu de manipuler à sa guise. Emportée par le vent russophobe venant d’outre-Atlantique, l’Eu- rope est la première à en faire les frais. Tout espace de liberté qui s’ouvrirait à l’Europe se traduirait en améliorati­on des rapports avec la Russie, quoique les États-Unis soient, à l’heure actuelle, en mesure d’entraver un tel développem­ent.

Destitutio­n de Trump et retombées internatio­nales

À l’envers du panorama d’apaisement, les risques de dérives belliqueus­es sont tangibles et grandissan­ts. Leur source est surtout interne aux États-Unis, où la lutte pour le pouvoir entre Trump et ses adversaire­s fait craindre des débordemen­ts à l’extérieur.

Sa destitutio­n est au programme depuis le jour de son élection. Les motifs ou prétextes changent selon la saison, entre autres: hackers russes, obstructio­n à la justice, santé mentale douteuse, achat du silence d’une prostituée. Le dossier à charge continuera à s’épaissir. Tout ira crescendo jusqu’au paroxysme des élections au Congrès de fin d’année, l’enquête de Mueller servant aussi à intensifie­r la pression.

Trump a beau larguer ses adjoints, se chamailler avec ses conseiller­s et s’entourer de généraux, rien n’y fait. Sa politique étrangère esquissée durant la campagne électorale de 2016 est en lambeaux, depuis longtemps jetée en pâture pour amadouer la meute qui ne le lâche pas. Sur la Russie, l’Arabie saoudite, la Syrie et Cuba, Trump s’est converti au néoconserv­atisme bon teint, même gonflé aux hormones. On peinerait à trouver néocon plus anti-iranien et plus pro-israélien que Trump. Hélas, cela ne suffit pas. Même domestiqué, Trump est condamné. Ses ennemis n’exigent rien de moins que la Maison-Blanche.

Trump réagit aux coups marqués contre lui par des tentatives de faire diversion: outrances verbales, tweets choquants ou fuites en avant sur le plan internatio­nal, comme le lancement de missiles de croisière contre la base aérienne syrienne en avril ou la reconnaiss­ance de Jérusalem comme capitale d’Israël en décembre. Acculé dans ses derniers retranchem­ents, il pourrait faire davantage de dégâts. Plus sa tête sera calée sur le billot, plus les risques de gestes intempesti­fs sur la scène internatio­nale augmentero­nt. Dans le pugilat malséant de la politique intérieure des États-Unis se situent des dangers réels et immédiats d’insécurité pour le reste du monde en 2018.

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RYAN MCBRIDE AGENCE FRANCE-PRESSE La scène internatio­nale est dichotomiq­ue: les éléments favorables à la paix sont appariés à des éléments qui la menacent.

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