Quel avenir ?
Si vous pensez qu’en vue des prochaines élections, le Québec devrait avoir d’autres priorités que l’éducation, détrompez-vous. Marco*, treize ans, est l’un des jeunes de l’équipe de basket parascolaire dont je suis entraîneur. Un grand gaillard. Mince mais robuste. Débordant d’énergie, aussi. Des rebonds, il n’en manque aucun. Pour les initiés, pensez à Dennis Rodman en miniature.
Marco avait toutefois les mains pleines de pouces au début de notre match de mardi. Rebonds manqués et ballons échappés. En plus d’un manque flagrant de vitalité.
Instructions ou encouragements, rien n’y faisait. Puis, je l’ai amené à l’écart lors d’un temps mort. «Qu’est-ce qui ne va pas, Marco?» Cinq secondes se sont écoulées, puis il a dit, la mine déconfite : « Aujourd’hui, j’ai pas bien mangé. »
À l’instant où ces paroles sont tombées dans mes oreilles, mon coeur a chuté dans mes talons. Dans mon sac à dos, j’avais une pomme et un fruit exotique dont je ne connais pas le nom. Je lui ai remis les deux. Il a pris la pomme et a fait la moue à l’autre fruit. Pas grave, c’en fut assez pour que son visage s’illumine ensuite. Neuf points et plus de dix rebonds.
Ce match marquait le retour de Dany, originaire des Philippines. Ne parlant pas français, il trouvait trop difficile sa participation à l’équipe. Il a finalement décidé de réintégrer l’équipe après que je lui ai fait comprendre que c’était justement là sa chance d’apprendre la langue.
Ali, lui, marque en moyenne près de 30 points par match. Mardi, il en a marqué zéro. C’est parce que je l’ai assis sur le banc tout le long du match en raison de son absence non justifiée lors de l’entraînement précédent.
À travers une multitude d’interactions quotidiennes avec ces jeunes, une question: quelle éducation voulons-nous pour eux? Je me fais un sang d’encre pour que Marco ait le ventre plein, que Dany apprenne à dire «comment ça va?», et qu’Ali adhère aux règles de la microsociété que représente notre équipe. Je m’inquiète donc pour la qualité de l’éducation que nous offrons à ces jeunes dès aujourd’hui, mais aussi et surtout pour l’avenir.
Je rêve à un Québec fort de son histoire. Un Québec qui favorise l’égalité des chances de manière à permettre l’épanouissement de tout un chacun. Un Québec ouvert sur le monde et prêt à en affronter les défis les plus pressants. Afin d’atteindre cet idéal, on ne peut faire le sacrifice d’aucune âme québécoise. Afin de répondre aux enjeux qui nous guettent — non, qui nous frappent déjà — à l’aube du XXIe siècle, toutes nos ressources personnelles devront être mobilisées : corps, coeur et esprit.
La révolution technologique, quoique phénoménale, risque de mettre en péril l’humanité si elle se concentre aux mains d’une poignée d’individus, d’entreprises et de gouvernements. Pour un aperçu de l’apocalypse, regardez Black Mirror.
Le contrepoids à ce risque est une mobilisation collective de masse préparée à agir de façon responsable face aux produits, idées et politiques nous étant proposés. Or, ceci relève présentement de l’utopie. Il suffit de constater que nous vivons tous et toutes dans une société technologique… alors que personne ne comprend vraiment la technologie !
Ça a pris toute la misère du monde pour qu’on réalise qu’Apple ralentit la vitesse de fonctionnement des iPhone. Nous ne sommes pas encore capables de nous expliquer raisonnablement comment une fausse alerte de missile a pu être déclenchée à Hawaï. Quels phénomènes technologiques destructeurs se développent dans notre angle mort? En 2016, la Russie a dévoilé Ivan le Terminator, un robot militaire humanoïde, dans la foulée de la course internationale à l’armement high-tech.
Bien entendu, une seule personne ne peut avoir la solution à tous les problèmes. Toutefois, commençons par reconnaître l’importance de la pensée ouverte et de la pensée critique. La pensée ouverte, afin d’accueillir et de s’adapter à tous les types de différences et de nouveautés dans un environnement en constant changement. La pensée critique, afin d’examiner les phénomènes du monde selon leurs forces et faiblesses et de résoudre des problèmes de façon raisonnée. Un esprit sain dans un corps sain, dans lequel loge un coeur tendre. C’est ça, l’éducation. Et par la force du nombre, l’éducation a le pouvoir de promettre un meilleur avenir collectif à nos enfants.
Dans ce contexte, il fait bon voir qu’à l’approche des prochaines élections provinciales, l’éducation a récemment fait l’actualité. Qu’on soit pour ou contre l’idée de la Coalition avenir Québec d’abolir les commissions scolaires, cette proposition engage un sain débat. Les récentes annonces du gouvernement libéral concernant l’injection de 740 millions pour la rénovation d’écoles et la stratégie pour les enfants de moins de 8 ans sont également à saluer. Le PQ, quant à lui, affirme dans son programme vouloir faire de l’éducation une priorité nationale.
À l’approche des élections. Parlons éducation. Il en va de notre avenir.
*Les prénoms dans cette chronique ont été changés pour protéger l’identité des élèves.