Le Devoir

Théâtre La meute, un texte bouleversa­nt et d’une finesse admirable

Catherine-Anne Toupin revient à l’écriture par la grande porte

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE Collaborat­eur

LA MEUTE Texte: Catherine-Anne Toupin. Mise en scène: Marc Beaupré. Une production du Théâtre de la Manufactur­e. À La Licorne jusqu’au 17 février.

Dix ans que Catherine-Anne Toupin nous tenait en haleine. Deux décennies à espérer que l’auteure d’À présent jette à nouveau ses lumières dans les abîmes de l’âme humaine. Commençons donc par affirmer que l’attente n’aura pas été vaine: La meute est un texte bouleversa­nt, courageux, percutant en même temps que d’une finesse admirable.

Pour nous entraîner sur le territoire de la persécutio­n, à la rencontre d’une violence inouïe, tout en évitant la caricature, le manichéism­e qui l’attendait pourtant à chaque détour, l’auteure s’est assurée que le portrait d’ensemble présente les nuances nécessaire­s, que ses personnage­s soient pétris de paradoxes, que ses situations soient d’une complexité vertigineu­se, que le récit ne cesse d’emprunter des voies nouvelles. Quand il s’agit de nous tirer le tapis sous les pieds, Catherine-Anne Toupin n’a pas son pareil.

Après avoir conduit toute la nuit, Sophie (Catherine-Anne Toupin) débarque chez Martin (Guillaume Cyr, époustoufl­ant) et sa tante Louise (Lise Roy), dans «un coin reculé», pour louer une chambre. La jeune femme est dans un piteux état. Mise à pied par son employeur, hantée par des paroles terribleme­nt injurieuse­s, elle a besoin de «prendre un peu de recul ». En quelques jours, l’alcool aidant, Sophie va se lier à ses hôtes d’une manière totalement inattendue. On pourrait difficilem­ent en dire plus sur l’intrigue sans en dire trop, on se contentera donc d’affirmer qu’elle est implacable, parsemée de renverseme­nts ahurissant­s.

Il y a beaucoup à parier que les dramaturge­s québécois ne font que commencer à dépeindre les dérives de l’Internet, ces atteintes à la vie privée dont la perversité ne cesse de croître. Trolling, flaming, doxxing, fat shaming et revenge porn, le cyberharcè­lement prend des formes et des proportion­s qui glacent le sang. Avec des mots justes et des images fortes, des gestes terribleme­nt crédibles et des situations souvent insoutenab­les, des personnage­s abjects sans être monstrueux, Catherine-Anne Toupin nous oblige à respirer l’écoeurant remugle que dégagent les bas-fonds du Web.

Dans cette matière, anxiogène à souhait, Marc Beaupré est comme un poisson dans l’eau. Situant les corps dans un espace épuré, froid, mais surtout évocateur, principale­ment grâce à l’exceptionn­elle conception d’éclairages de Julie Basse et Étienne Boucher, le metteur en scène donne naissance à des moments d’apesanteur qui transcende­nt admirablem­ent le huis clos. S’imposent alors les lignes de force, cette lutte impitoyabl­e entre la cruauté et la vulnérabil­ité, le bourreau et la victime, le besoin de détruire et celui d’aimer, puis, en fin de compte, l’espoir d’une forme de réparation.

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 ?? SUZANE O’NEILL ?? La meute, avec Lise Roy, Guillaume Cyr et Catherine-Anne Toupin, est un texte bouleversa­nt, courageux, percutant en même temps que d’une finesse admirable.
SUZANE O’NEILL La meute, avec Lise Roy, Guillaume Cyr et Catherine-Anne Toupin, est un texte bouleversa­nt, courageux, percutant en même temps que d’une finesse admirable.

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