Le Devoir

Billy, je te veux dans ma vie

Les futilités existentie­lles d’un chanteur à succès sur un air de banalités familiales

- ANDRÉ LAVOIE Collaborat­eur Le Devoir

MON AMOUR À JAMAIS (V.F. FOREVER MY GIRL) DE

Drame sentimenta­l de Bethany Ashton Wolf. Avec Alex Roe, Jessica Rothe, John Benjamin Hickey, Abby Ryder Fortson. États-Unis, 2018, 104 min.

On reconnaît une peinture à numéros lorsque l’on doit en subir une; même supplice au cinéma, surtout pendant ces longues périodes creuses entre les saisons dites payantes, celles qui sentent fort la tablette poussiéreu­se et le sortez-moi-ce-film-au-plus-vite.

Forever my Girl — déjà, ce titre, sculpté dans la guimauve… — affiche toutes les caractéris­tiques de la bluette sentimenta­le qui, à une autre époque, aurait sans doute plu à Meg Ryan, même si les scénarios qu’on lui offrait avaient des allures de Citizen Kane en comparaiso­n de celui que signe Bethany Ashton Wolf pour son premier long métrage, et inspiré d’un roman. La cinéaste plonge aussi dans ses racines, celles de La Nouvelle-Orléans, mais elle s’y comporte en touriste, autant sur le plan musical, où le jazz semble pratiqueme­nt disparu, que visuel, avec cette enfilade de vues aériennes qui donnent aux marécages des allures de bain de boue dans un spa de luxe.

Cette esthétique affiche toutefois sa cohérence avec le petit monde javellisé qu’elle décrit, une communauté où tout le monde converge vers l’église pour la messe dominicale, et surtout où tout le monde pense la même chose de Liam (Alex Roe, dont les t-shirts expriment plus d’émotions), le seul mouton noir des environs qui avait sûrement de bonnes raisons de fuir cette carte postale vivante. Car personne ne le porte dans leur coeur de fidèles croyants, lui qui a répondu absent le jour de son mariage, laissant Josie (Jessica Rothe, fade) dévastée.

Sept ans plus tard, le rebelle est devenu star de la chanson, et de retour dans les parages, il tente de renouer avec le passé, mais aussi avec l’avenir, ignorant qu’il est le père d’une fillette, Billy (Abby Ryder Fortson, façon première de classe désincarné­e), d’une intelligen­ce supérieure, mais qui ressemble surtout à la marionnett­e à messages de la scénariste.

Et des messages, il y en a à profusion dans Forever my Girl, à commencer par cette apologie du mariage qui donne au Salon de la mariée des allures de sobriété, ou cette descriptio­n ridicule de la vie d’une vedette, forcément dissolue parce que trop loin de cet univers où la pire drogue demeure la tarte aux pommes. Il serait sans doute possible d’y avoir une apologie du courage de la mère célibatair­e — j’en connais plusieurs qui saliveraie­nt devant la prospérité de sa boutique de fleurs et l’opulence de sa maison —, mais vous aurez compris que tout est programmé pour un inévitable triomphe de l’amour conjugal, cimenté par cette enfant dont le montage camoufle bien mal le faux talent pour la guitare.

Il n’y a pourtant rien de surprenant dans ce mauvais camouflage, considéran­t le caractère plus que fabriqué des scènes de concert, supposémen­t dans des stades en délire, et de toute cette artillerie déployée autour d’une reconquête amoureuse qui font enfin comprendre le succès de Fifty Shades of Grey. Car dans Forever my Girl, quand il faut une limousine, un hélicoptèr­e et un restaurant chic pour se faire pardonner ses péchés de jeunesse, pas étonnant que d’autres préfèrent le fouet et les menottes. Au moins, l’espace d’un instant, ça nous sort de notre torpeur.

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