Bye bye les vrais cowboys
Le machisme et le racisme mis à mal dans ce western crépusculaire et mélancolique
Lors d’une visite à l’infirmerie pour saluer une dernière fois un compagnon d’armes gravement blessé, le capitaine Joseph J. Blocker lui adresse quelques mots de réconfort aux limites du banal, mais ses larmes de tristesse en disent long sur sa souffrance de se départir de ce soldat afro-américain en qui il voit droiture et courage. La scène aurait aussi fait pleurer John Wayne, mais de rage.
Voilà déjà un bon moment que le western se dépouille peu à peu de ses oripeaux machistes et racistes, et Hostiles, du doué Scott Cooper (Crazy
Heart, Black Mass), s’inscrit dans cette généreuse continuité grâce à cette impressionnante galerie de personnages rongés par la culpabilité et le doute. Ce n’était pas tout à fait le carburant du genre à son apogée, mais n’en déplaise aux esprits chagrins, le monde a changé, de même que la façon d’envisager le passé. Qui plus est celui de la fameuse conquête de l’Ouest longtemps dépeinte avec des Amérindiens en ennemis violents, et somme toute accessoires.
À ce chapitre, le scénario de Cooper, inspiré d’un texte inédit du scénariste Donald E. Smith (Missing, Patriot Games), pèche par excès de timidité, les Amérindiens étant montrés comme une stricte présence menaçante ou comme une source de bonté aux (rares) répliques à la sagesse convenue. Ce n’est pas de là que ce western crépusculaire et mélancolique tire sa force, alors que le seul véritable cowboy qu’on y croise se fait scalper dans les cinq premières minutes du film. Tout l’espace, allant du Nouveau-Mexique au Montana en traversant le Colorado, est peuplé de soldats plus ou moins névrosés, le plus tourmenté de tous étant Blocker (Christian Bale, incandescent), lui dont on ne compte plus les carnages contre les Amérindiens. En 1892, il croit l’heure de la retraite venue, mais pas avant d’avoir achevé une dernière mission: ramener sur ses terres Yellow Hawk (Wes Studi), un adversaire impitoyable qu’il a fait prisonnier, une tâche qui dégoûte Blocker, encore hanté par la mort de ses amis aux mains de ce chef cheyenne maintenant rongé par le cancer.
Ce périple n’a rien d’un long fleuve tranquille, d’abord perturbé par la rencontre d’une veuve et mère éplorée au milieu de sa maison en ruine… et des cadavres de ses trois enfants. Une fois ses larmes asséchées, mais si peu, Rosalie (Rosemund Pike, à la fois forte et fragile) s’engage avec Blocker, ses alliés et ses prisonniers sur une route parsemée de dangers, toujours la proie possible des Comanches, eux qui ont massacré la famille de Rosalie, symbole d’une lutte sanguinaire pour un territoire gorgé du sang mêlé des pionniers et des autochtones.
La suite s’avère riche en émotions et en brutalité, celle-ci fusant de tous les côtés, entre autres d’un condamné à mort (Ben Foster) miné par une colère prête à éclater à tout moment. Il s’agit là d’une présence furtive parmi d’autres, la mort de héros anonymes s’accumulant tout au long de cette chevauchée parfois frénétique, souvent émouvante, humanisant une période vue trop souvent sous l’angle de l’épopée triomphante. Scott Cooper préfère dégainer avec subtilité, grâce aux magnifiques images de Masanobu Takayanagi (il a signé celles de Spotlight, sorte de western journalistique!) et à la musique atmosphérique de Max Richter.
Hostiles ne va pas sceller le retour en force du genre, mais va assurément lui redonner un souffle et une sensibilité que les nostalgiques jugent encore déplacée.
Hostiles
★★★★ Western de Scott Cooper avec Christian Bale, Rosamund Pike, Wes Studi, Ben Foster. États-Unis, 2017, 134 minutes.