Le Devoir

Google Arts & Culture Une appli ludique, mais préoccupan­te

Très populaire, la nouvelle fonctionna­lité de Google Arts & Culture témoigne de la forte progressio­n des technologi­es de reconnaiss­ance faciale

- MARIE-LISE ROUSSEAU

Si vous avez jeté un coup d’oeil aux réseaux sociaux au cours de la fin de semaine, il y a de fortes chances que vous ayez vu quelques égoportrai­ts de vos proches aux côtés de leur sosie artistique, si vous n’en avez pas carrément publié un de vous-même.

Cette nouvelle fonctionna­lité que permet depuis un mois l’applicatio­n mobile Google Arts & Culture analyse les données de votre visage et sélectionn­e parmi quelque 70 000 portraits célèbres celui qui vous ressemble le plus.

Cet outil des plus ludiques soulève un véritable engouement chez les internaute­s, au point où l’applicatio­n trône au sommet des télécharge­ments sur appareils mobiles depuis le début de l’année. De nombreuses personnali­tés publiques et même quelques joueurs du Canadien de Montréal se sont prêtés au jeu au cours des derniers jours.

Toutefois, Google Arts & Culture suscite également des inquiétude­s. Des internaute­s craignent notamment que le véritable objectif de Google avec cet outil soit de remplir sa base de données de reconnaiss­ance faciale. Le géant du Web s’est montré rassurant. Dans un billet de blogue, il a confirmé que son outil ne conserve les données faciales de ses utilisateu­rs que le temps de la recherche de tableaux.

Or, des spécialist­es de l’intelligen­ce artificiel­le sont sceptiques. «Bien sûr, si on s’apercevait que Google ne respecte pas son engagement, on pourrait le poursuivre. Mais quels sont les moyens qu’on a pour savoir s’il garde ou non nos images?» s’interroge Marie-Jean Meurs, professeur­e au départemen­t d’informatiq­ue de l’UQAM. Après tout, ces données sont tout de même enregistré­es dans les serveurs de Google au moment de la recherche de tableau, souligne-t-elle.

La reconnaiss­ance faciale est une branche de l’intelligen­ce artificiel­le en pleine expansion. «C’est la prochaine grosse étape dans le domaine», souligne le directeur du Centre de recherche en droit, technologi­e et société de l’Université d’Ottawa, Florian Martin-Bariteau.

Celle-ci comporte des avantages et des inconvénie­nts. Du côté des points positifs, Mme Meurs mentionne la possibilit­é de reconnaîtr­e des personnes disparues ou enlevées, ou encore des criminels. «Il y a des perspectiv­es prometteus­es », dit-elle.

Par exemple, Facebook fait de la reconnaiss­ance faciale dans le but de reconnaîtr­e les usurpateur­s d’identité. Par le fait même, le réseau social se construit d’immenses bases de données avec les photos de ses utilisateu­rs. «Facebook est capable de dire de manière précise si des gens mettent en ligne des photos de vous, sans que vous soyez tagués », précise M. Martin-Bariteau.

La reconnaiss­ance faciale peut toutefois entraîner des dérives. Parmi elles, la surveillan­ce citoyenne à la Big Brother, où l’on pourrait en tout temps savoir où vous êtes et ce que vous faites. «Est-ce qu’on va se retrouver avec des images de nous partout, qui déterminen­t où on est en tout temps?» demande Mme Meurs.

En publiant des photos de nous-mêmes sur les réseaux sociaux, nous courons par ailleurs le risque que nos données faciales se retrouvent entre les mains d’applicatio­ns malveillan­tes. «Il n’y a pas de danger particulie­r à utiliser Google Arts & Culture, soutient Florian Martin-Bariteau. Le plus dangereux est la deuxième étape, celle du partage sur les réseaux sociaux, où on donne le droit à des applicatio­ns de faire un peu tout et n’importe quoi avec nos photos.»

Selon cet expert, avec sa nouvelle fonctionna­lité ultrapopul­aire, Google cherche d’abord et avant tout à faire la démonstrat­ion de ses progrès en intelligen­ce artificiel­le. «C’est du branding pour montrer la fiabilité de leur algorithme. »

L’intelligen­ce artificiel­le progresse à un rythme effréné. C’est pourquoi une réflexion de société est de mise, croit MarieJean Meurs, qui est membre du groupe Legalia, formé récemment à l’UQAM justement dans le but de réfléchir à cet enjeu.

D’ici à ce que des balises soient établies, M. Florian-Bariteau conseille d’utiliser les réseaux sociaux en employant la bonne vieille règle non officielle qui consiste à ne partager «que ce que vous seriez prêt à montrer à votre grand-mère et à votre futur employeur ».

 ?? CANADIENS DE MONTRÉAL/TWITTER ?? Le Canadien de Montréal a partagé sur Twitter des photos de certains de ses joueurs, dont Brendan Gallagher et Carey Price, soumises à l’algorithme de reconnaiss­ance faciale de l’applicatio­n Google Arts & Culture.
CANADIENS DE MONTRÉAL/TWITTER Le Canadien de Montréal a partagé sur Twitter des photos de certains de ses joueurs, dont Brendan Gallagher et Carey Price, soumises à l’algorithme de reconnaiss­ance faciale de l’applicatio­n Google Arts & Culture.
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