Le Devoir

Planter des arbres pour compenser la pollution de nos transports a ses limites

Planter des arbres pour compenser les émissions de gaz à effet de serre a ses limites

- ANNABELLE CAILLOU

Il faut réduire avant tout nos émissions de GES, qui sont devenues compenser» tellement grandes qu’on ne pourra jamais assez Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal

Les programmes de compensati­on des émissions de gaz à effet de serre (GES) ont beau se multiplier, se contenter de verdir la planète ne l’empêchera pas de gagner toujours plus de degrés. L’heure est à la mise en place de contrainte­s environnem­entales plus audacieuse­s pour limiter à la source les émissions de GES.

Conscients de participer au réchauffem­ent climatique lorsqu’ils se déplacent en voiture ou qu’ils voyagent en avion, quelques Québécois se tournent vers l’achat de crédits carbone pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais cette initiative, qui consiste à planter des arbres, a ses limites.

Si les plantes ont l’avantage de piéger le carbone tout en relâchant de l’oxygène, il est difficile de compenser les 30 à 40 milliards de tonnes de dioxyde de carbone, découlant de l’activité humaine, qui sont rejetées chaque année dans l’atmosphère.

Pour effacer l’impact environnem­ental de son prochain vol pour Vancouver, à une distance d’environ 5000km de Montréal, Laurent a acheté 28dollars de crédit carbone qui permettron­t de planter sept arbres et ainsi de compenser l’équivalent de 1,20 tonne de CO2 émis par son déplacemen­t.

Depuis maintenant quatre ans, Laurent achète des crédits carbone juste après avoir réservé un billet d’avion. Travaillan­t dans le milieu du commerce internatio­nal, le jeune homme de 29 ans est amené à voyager au moins une fois par mois pour rencontrer des partenaire­s.

«À Montréal, autant que possible, j’essaie de prendre les transports en commun ou de marcher. Pour l’avion, il n’y a pas d’autre solution, mais je me sentais quand même coupable », raconte Laurent, précisant que son employeur ne semblait

«pas désireux de faire cet effort pour l’environnem­ent».

Investir dans la plantation d’arbres est devenu une façon d’apporter sa contributi­on, ditil, un peu comme recycler ses déchets au quotidien. Il se croit toutefois l’exception à la règle, considéran­t l’air dubitatif de ses proches et collègues lorsqu’il leur fait part de son « habitude de vie ».

Déculpabil­isation?

Certains considèren­t les crédits carbone comme une façon de se déculpabil­iser, comme des «indulgence­s vertes», explique Karel Mayrand, directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki.

Un avis déjà bien ancré dans les esprits il y a dix ans, lorsqu’il était directeur du programme Planetair, chez Unisféra, un organisme québécois sans but lucratif devenu depuis un gros joueur dans l’industrie de la compensati­on au Canada.

«Onconsidér­aitdéjàà l’époque qu’on se rachetait une bonne conscience. Mais ceux qui pensent ainsi se trompent; c’est une bonne action que de vouloir effacer notre impact environnem­ental parce qu’on pollue la planète en voyageant. Ce n’est pas un geste simplement symbolique. »

Mais rares sont les individus qui prennent volontaire­ment ce type d’initiative pour le bien de la planète, d’après Karel Mayrand. «Les gens achètent le billet d’avion le moins cher, même si c’est 50 $ de moins avec une escale de plusieurs heures; je ne vois pas comment ils auraient le réflexe d’acheter des crédits carbone. »

Il rêve justement au jour où les compagnies aériennes incluront systématiq­uement dans le prix de leurs vols la compensati­on des émissions de GES que le trajet engendre.

Donner l’exemple

À l’heure actuelle, les efforts viennent surtout d’institutio­ns, de syndicats, du milieu événementi­el ou associatif, indique M. Mayrand.

C’est le cas, par exemple, de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Pour compenser les émissions de GES liés à la constructi­on du futur Réseau électrique métropolit­ain (REM), l’entreprise a acheté 87 000 crédits de carbone (un crédit correspond­ant à une tonne de carbone) qui permettron­t de planter 250 000 arbres dans la grande région de Montréal.

Une initiative qui a permis à l’organisme Jour de la terre d’atteindre en 2017 son objectif de planter 375 000 arbres pour souligner le 375e anniversai­re de la métropole.

« Toute initiative de ce genre est louable et donne l’exemple », estime la chargée de projet de l’organisme, Cornelia Marie Garbe, rappelant que, depuis les années 1960, la région métropolit­aine a perdu près de la moitié de ses forêts et milieux humides.

Une solution limitée

Aux yeux de Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire à HEC Montréal, les projets de reboisemen­t ne suffisent pas, aussi louables soient-ils. «Il faut penser que les forêts brûlent et se décomposen­t. Il faut s’assurer que ces nouveaux arbres qui voient le jour avec nos crédits vont bien conserver le carbone sur la longue durée, mais c’est devenu difficile», note-t-il.

Compensati­on CO2 Québec, une filiale d’Aménagemen­t forestier coopératif des Appalaches, mise justement sur cet aspect pour convaincre les Québécois d’y adhérer.

L’organisme s’est donné pour objectif de planter des arbres essentiell­ement dans la province, pour offrir davantage de transparen­ce aux intéressés. « Chaque individu ou organisme qui s’implique peut suivre son arbre, savoir où il est planté exactement, même aller le voir», explique Manon Ayotte, ingénieure forestière pour Compensati­on CO2 Québec.

Actuelleme­nt, les terrains se trouvent surtout en Estrie et dans le Centre-du-Québec. Depuis le début du programme, en 2011, 6000 arbres ont été mis en terre, et 80 personnes ont fait appel aux services de Compensati­on CO2 Québec ainsi que 34 entreprise­s ou organismes. Cela représente une captation en cours de 1090 tonnes de CO2. «À titre d’exemple, les actions de compensati­on des personnes impliquées avec nous compensent les émissions de 40 familles québécoise­s ou encore les émissions de 261 voitures moyennes», précise Mme Ayotte.

Des chiffres «plutôt faibles» qu’elle explique par le manque de visibilité du programme. «C’est un service en parallèle de nos activités habituelle­s, alors on n’a pas fait beaucoup de promotion. Ce sera justement notre défi dans les prochaines années. »

Elle croit toutefois dur comme fer que le marché va s’agrandir au Québec. «Il y a une prise de conscience de plus en plus importante avec toutes les données qu’on a sur le réchauffem­ent climatique», soutient-elle.

Réduire à la source

M. Pineau reste sceptique, considéran­t que seules des contrainte­s réglementa­ires pourront changer la situation. «Il faut réduire avant tout nos émissions de GES, qui sont devenues tellement grandes qu’on ne pourra jamais assez compenser », s’alarme-t-il.

Une étude publiée dans le journal de l’American Geophysica­l Union, Earth’s Future, l’année passée, appuie son propos. Selon les chercheurs, le réchauffem­ent climatique a franchi la limite qui permettrai­t de vraiment compenser les émissions de GES dues à l’activité humaine par la plantation d’arbres.

Ils démontrent que, même si l’équivalent des États-Unis se transforma­it en une forêt, seules 10% des émissions de GES seraient réellement capturées. Considéran­t les surfaces agricoles et les zones habitées, la plantation d’arbres a donc des limites.

Les auteurs de l’étude préconisen­t aussi la mise en place de politiques climatique­s en matière de gestion climatique, qui pourraient être appuyées par la plantation d’arbres.

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JUSTIN SULLIVAN/GETTY IMAGES/AGENCE FRANCE-PRESSE À l’heure actuelle, les compagnies aériennes n’incluent pas systématiq­uement dans le prix de leurs vols la compensati­on des émissions de gaz à effet de serre que le trajet engendre.
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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

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