Le Devoir

Prison à ciel ouvert

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Quelques centaines de Rohingyas de l’immense camp de réfugiés de Cox’s Bazar ont manifesté vendredi dernier contre l’accord de rapatrieme­nt conclu par le Bangladesh et le Myanmar. Et pour cause : c’est un accord bancal qui ne résout rien. Pire, il vise à renvoyer les réfugiés musulmans à la prison à ciel ouvert qu’ils ont fuie pour échapper à la campagne de nettoyage ethnique lancée par l’armée myanmarais­e en août dernier.

L’entente prévoit le retour sur «d’ici deux ans» dans l’État Rakhine des 650 000 Rohingyas (dont plus de la moitié sont des enfants) qui ont fui les massacres et les viols. Mais elle ne s’attaque ni à l’enjeu central de la citoyennet­é des Rohingyas, dont ils sont privés depuis 1982, ni à celui du respect de leurs droits fondamenta­ux dans un pays à façade vaguement démocratiq­ue qui leur interdit depuis 2015 de se déplacer librement, d’étudier ou d’exercer certains métiers.

Le tiers du millier de villages rohingyas a été partiellem­ent ou entièremen­t incendié, selon Human Rights Watch. Ces villages seront-ils reconstrui­ts? Leurs terres leur seront-elles rendues? Les agences humanitair­es auront-elles enfin accès au Rakhine? On n’en sait rien.

Les autorités du Myanmar ont d’autre part indiqué qu’elles n’accepteron­t que les réfugiés capables de faire la preuve qu’ils habitaient le pays avant août 2017. C’est assez cynique. Les Rohingyas étant par définition apatrides, la grande majorité d’entre eux sont donc sans papiers. Ce qui revient à dire que peu pourront rentrer par les voies officielle­s, si tant est qu’ils veuillent retourner dans cet enfer. Pour ceux qui rentreront, l’accord prévoit dans un premier temps la constructi­on de 625 résidences capables d’abriter 30 000 personnes…

Mieux vaut, dans ces conditions, «un camp de réfugiés au Bangladesh qu’un camp de concentrat­ion en Birmanie», a réagi un militant rohingya, cité par Libération.

Sans compter qu’au quotidien, ceux et celles qui rentreront en vertu de cet accord ne seront sûrement pas accueillis par une majorité bouddhiste devenue tout à coup plus ouverte à une minorité musulmane qu’on lui a montré depuis toujours à haïr. Il est entendu que, s’il n’y a pas une véritable volonté de les intégrer, ils resteront les parias qu’ils ont toujours été.

Cet accord est boiteux parce qu’il a été négocié en dehors de toute participat­ion internatio­nale. Il n’y a que la Chine qui se soit intéressée à la négociatio­n, l’essentiel étant pour elle de protéger ses immenses intérêts économique­s dans l’État Rakhine — sous la forme d’un port en eau profonde et d’un oléoduc transporta­nt vers le Yunnan le pétrole venu du Moyen-Orient. La défense des droits des Rohingyas ? Elle s’en moque complèteme­nt.

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GUY TAILLEFER

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