Le Devoir

Veiller à l’indemnisat­ion des victimes

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MARCO LAVERDIÈRE Avocat, chercheur associé de la Chaire de recherche du Canada sur la culture collaborat­ive en droit et politiques de la santé de l’Université de Montréal, enseignant au programme de maîtrise en droit et politiques de la santé de l’Université de Sherbrooke et directeur général d’un ordre profession­nel

L’actualité récente relative à des inconduite­s sexuelles de certaines personnali­tés publiques génère, à raison, une réflexion sur le traitement réservé à ces affaires par notre système de justice. Comme le relatait Le Devoir la semaine dernière, dans le cas de la justice disciplina­ire applicable aux médecins, psychologu­es et autres profession­nels, on commence d’ailleurs à observer l’effet de la loi 11, adoptée par l’Assemblée nationale en juin dernier, suivant laquelle des sanctions nettement plus sévères sont maintenant imposées. Or, à cet égard, on peut estimer qu’il reste certains progrès à réaliser, notamment en ce qui concerne l’indemnisat­ion des victimes et, plus particuliè­rement, la question des frais de thérapie.

Ainsi, un jugement rendu récemment au Nouveau-Brunswick (Shannon c. Associatio­n canadienne de protection médicale, 2017 NBCA 17) illustre bien les limites de l’assurance responsabi­lité profession­nelle dans le cas de l’inconduite sexuelle. Dans cette affaire, qui aurait bien pu se dérouler au Québec, l’infraction était clairement établie, mais le médecin coupable s’étant enfui à l’étranger, la victime s’est vu refuser une indemnisat­ion en raison du caractère volontaire de l’infraction. Le problème est ainsi que, en matière d’assurance responsabi­lité profession­nelle, plusieurs exclusions généraleme­nt admises font en sorte que certaines fautes qui relèvent de la conduite délibérée des assurés ne sont pas couvertes.

Cette réalité est fort compréhens­ible quand les seuls enjeux en cause sont ceux de la protection du patrimoine de l’assuré. Pour le dire simplement, l’assurance responsabi­lité n’a pas pour vocation d’encourager le crime! Cela dit, l’exigence posée par les ordres profession­nels selon laquelle leurs membres doivent détenir une couverture d’assurance responsabi­lité profession­nelle n’a évidemment pas pour but de protéger le patrimoine de ces profession­nels. Il s’agit plutôt d’assurer la protection du public, en faisant en sorte que les victimes d’une faute profession­nelle puissent être indemnisée­s, sans égard à la situation financière du profession­nel en cause ou à la possibilit­é de faire exécuter un jugement contre lui.

L’affaire Shannon révèle ainsi un problème d’arrimage entre, d’une part, ce qu’on pourrait appeler une certaine logique assurancie­lle et, d‘autre part, la logique de protection du public.

Des solutions à considérer

Ne pourrait-on pas ici envisager que, au même titre que pour les préjudices résultant de fautes commises sous l’influence de l’alcool ou de drogues, les exclusions prévues par les contrats d’assurance responsabi­lité profession­nelle ne soient pas opposables aux victimes d’inconduite sexuelle, mais uniquement aux profession­nels fautifs? Il en résulterai­t que les victimes bénéficier­aient ainsi de la protection prévue, alors que les profession­nels pourraient, eux, se voir refuser le bénéfice de cette protection et avoir à rembourser l’assureur qui aurait été tenu de verser l’indemnisat­ion. Bien sûr, d’autres solutions pourraient être considérée­s, en fonction par exemple de ce qui est déjà prévu pour l’indemnisat­ion des victimes d’actes criminels ou, dans le cas des médecins, en réallouant certaines sommes actuelleme­nt versées par l’État aux fins du remboursem­ent des primes d’assurance responsabi­lité vers un fonds réservé à l’indemnisat­ion des victimes.

Dans cette même perspectiv­e, on pourrait aussi envisager la constituti­on d’un programme de remboursem­ent des frais de thérapie pour les victimes, accessible avant même l’issue du processus disciplina­ire, comme on l’a fait en Ontario en 2017, suivant les recommanda­tions formulées par un groupe d’étude ministérie­l qui avait réalisé une analyse exhaustive de la question de l’inconduite sexuelle chez les profession­nels de la santé.

Bref, voilà certaines des questions qui devraient être traitées dans le cadre les travaux déjà annoncés par les autorités gouverneme­ntales québécoise­s, en vue de compléter les mesures incluses dans la loi 11 adoptée au printemps dernier. Le rehausseme­nt des sanctions qui résulte des nouvelles dispositio­ns ainsi adoptées indique une volonté claire de s’attaquer au problème, mais dans l’intérêt des victimes, il faut aller audelà de la répression, notamment en garantissa­nt réellement l’indemnisat­ion du préjudice subi.

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TIMOTHY A. CLARY AGENCE FRANCE-PRESSE Les exclusions prévues par les contrats d’assurance responsabi­lité profession­nelle ne devraient pas être opposables aux victimes.

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