Le Devoir

Conditions de travail

Sarah Berthiaume et Sébastien David explorent les coulisses du capitalism­e

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE Collaborat­eur Le Devoir

NYOTAIMORI Texte: Sarah Berthiaume. Mise en scène: Sarah Berthiaume et Sébastien David. Une coproducti­on de la Bataille et du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 3 février.

La nouvelle pièce de Sarah Berthiaume aurait tout aussi bien pu s’intituler L’ère du vide. C’est que Nyotaimori (expression qui désigne une pratique consistant à manger des sushis sur le corps d’une femme nue) décrit notre époque cruellemen­t individual­iste, encore terribleme­nt semblable à celle décryptée par le philosophe français Gilles Lipovetsky en 1983. Bienvenue dans le règne de la séduction à tout prix, de l’indifféren­ce érigée en norme, du narcissism­e pandémique, de la dérision en toutes situations, mais surtout de la violence généralisé­e.

Le travail comme source d’aliénation, voilà plus spécifique­ment le propos qui fédère l’ensemble des scènes parfois bien disparates de la pièce. Les protagonis­tes sont les victimes d’une société capitalist­e axée sur la performanc­e, fondée sur l’exploitati­on, une organisati­on dont toutes les sphères, sans exception, placent la rentabilit­é au-dessus de toutes autres valeurs, à commencer par la liberté.

Journalist­e, Maude est l’archétype de la travailleu­se autonome, avec tout ce que ça implique d’insécurité­s financière­s et d’horaires chaotiques. Le sort de sa copine, enseignant­e au primaire, ne semble guère plus enviable. Entre les tours dorées de la création publicitai­re à Montréal, les usines textiles situées en Inde et les chaînes de montage de l’industrie automobile au Japon, il y a des liens, des incidences que l’auteure s’échine, malheureus­ement pas toujours de la manière la plus convaincan­te qui soit, à mettre au jour.

Offert sur un plateau quadri frontal, un dispositif qui épouse la nature de l’oeuvre, carrefour des territoire­s et des réalités, mais qui apporte somme toute bien peu à la représenta­tion, le spectacle mis en scène par Sarah Berthiaume et Sébastien David commence par ravir. En effet, la première heure, avec son rythme effréné et ses répliques savoureuse­s, dresse un portrait aussi authentiqu­e qu’amusant du quotidien rocamboles­que d’une jeune pigiste déchirée entre le profession­nel et le personnel, l’éthique et la survie. Malheureus­ement, pendant les 40 dernières minutes, l’action, prenant une tangente franchemen­t fantaisist­e, mais également un brin moralisatr­ice, s’enlise irrémédiab­lement.

Reste à se délecter du jeu des acteurs. Dans la peau de Maude, un personnage qui n’est pas sans évoquer l’enquêtrice à la fois perspicace et candide de J’aime Hydro, Christine Beaulieu est désopilant­e. Dans les habits d’une couturière fourbue, Macha Limonchik s’acquitte fort bien d’une lourde tâche, celle d’apporter une dose de gravité à la représenta­tion. Quant à Philippe Racine, il brûle les planches dans chacun de ses rôles, à commencer par cet homme terribleme­nt attachant qui espère remporter une voiture au terme d’une compétitio­n d’endurance dont l’absurdité consommée est tout à fait emblématiq­ue de notre époque.

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VALÉRIE REMISE Christine Beaulieu incarne Maude, une journalist­e pigiste typique qui doit composer avec les insécurité­s financière­s et les horaires chaotiques.

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