Le Devoir

Tapisserie identitair­e

Warda, de Sébastien Harrisson, nous embarque dans un voyage initiatiqu­e plutôt séduisant

- MARIE LABRECQUE Collaborat­rice Le Devoir

WARDA Texte de Sébastien Harrisson. Mise en scène de Michael Delaunoy. Un spectacle des Deux Mondes en coproducti­on avec le théâtre du Rideau de Bruxelles. Au théâtre Prospero, jusqu’au 3 février.

Ce ne sont pas Les mille et une nuits, certes, malgré l’imaginaire moyen-oriental qui l’imprègne, mais il y a un charme certain dans le conte inventé par Sébastien Harrisson. Tissant des fils entre une oeuvre, sa créatrice et son récepteur, l’auteur de La cantate intérieure y illustre à nouveau l’impact d’une oeuvre artistique, mais d’une manière différente.

Dans Warda, un jeune financier montréalai­s, Jasmin, (Hubert Lemire), en voyage d’affaires à Londres, cherche son chemin. (Perdu, il l’est aussi métaphoriq­uement, découvrira-t-on.) Il engage une étrange conversati­on avec un vendeur énigmatiqu­e (Salim Talbi), où l’on n’est plus trop sûr de ce qui est l’objet du marchandag­e. Une transactio­n centrée sur un tapis persan, que ce drôle de marchand refuse toutefois de céder contre de l’argent… De mot de passe secret en clé ouvrant une armoire familiale, de Bagdad à Anvers, Jasmin va recueillir lors d’un bref voyage initiatiqu­e les indices pour résoudre cette énigme aux accents existentie­ls.

D’abord créée en 2016 à Bruxelles au théâtre du Rideau, cette coproducti­on multilingu­e du Théâtre des Deux Mondes porte aussi sur ces questions identitair­es elles-mêmes. Parler la langue d’autrui, c’est un peu apprendre comment on se sent dans ses souliers, dit en substance une réplique du texte. Dans Warda, sauf le protagonis­te straight, les personnage­s endossent des identités fluides, mouvantes, parfois des travestiss­ements sexuels. Le Belge d’origine arabe, notamment, se dérobe constammen­t, sorte de déversoir des fantasmes ou craintes collectifs. Si, une fois révélé, le thème sous-jacent s’avère très simple, banal même (et c’est peutêtre sa limite), c’est comment le dramaturge québécois l’enrobe, le trajet, qui séduit, avec ses couches de mystère, son humour. Chaque tableau possède un peu sa propre couleur. Le tableau parisien, où Violette Chauveau offre une compositio­n haute en couleur, est ainsi campé dans un registre plutôt boulevardi­er, avec ses nombreux quiproquos langagiers, gracieuset­é d’une étudiante de philosophi­e anglophone (Victoria Diamond).

Mise en scène avec simplicité et précision par le Belge Michael Delaunoy, la coproducti­on évite en gros les écueils parfois associés à ces spectacles hybrides, comme une distributi­on à plusieurs vitesses. La sienne — qui a nourri dès le départ la création — est solide.

Postée un peu en dehors de la scène, s’adressant directemen­t aux spectateur­s, la Flamande Mieke Verdin déploie beaucoup de présence et de truculence dans un rôle qui apparaît d’abord comme bavard et assez superflu. Mais le personnage finit par trouver sa raison d’être dans une pièce où les échos entre les différents niveaux de réalité, concret, imaginaire, philosophi­que, sont tous liés, où tous les fils de ce tapis magique qu’est la trame sont attachés.

La coproducti­on évite en gros les écueils parfois associés aux spectacles hybrides

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