Le Devoir

Alexandrin­e Agostini défend ses mots

La comédienne signe un premier solo des plus personnels

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE Le Devoir Collaborat­eur

Alexandrin­e Agostini semble ravie de la tournure que prend depuis peu la programmat­ion de la Licorne. «Avant, c’était extraordin­aire, précise-t-elle, mais c’était vraiment très, très gars. Maintenant, c’est encore plus réjouissan­t, parce qu’il y a plusieurs paroles de femmes qui apparaisse­nt.» En effet, à l’affiche du théâtre de l’avenue Papineau, cette saison seulement, on trouve des textes de Nathalie Doummar, Catherine Léger, Annabel Soutar, Esther Duquette, Catherine-Anne Toupin, Sylvianne Rivest-Beauséjour et Marianne Dansereau.

C’est dans ce remarquabl­e contexte que la comédienne, sortie de l’École nationale en 1996, présente ces jours-ci, en lecture publique, son tout premier texte : Quand tu veux du sucre à’crème… (tu t’en fais), un solo autobiogra­phique qui aborde les sujets les plus divers, de l’art à la politique, du rôle d’actrice à celui de mère, de l’alimentati­on à l’environnem­ent, de la région à la métropole. Parmi les multiples influences de l’artiste (à décrypter dans l’affiche du spectacle, fourmillan­te d’objets), on trouve ainsi Diane Dufresne, Carole Laure et Björk, Suzanne Jacob, Sylvie Laliberté et Clarissa Pinkola Estés, Modigliani, Offenbach et Blier; des films, des livres, des musiques, des vêtements et des aliments, les pièces d’un puzzle merveilleu­sement contrasté.

«C’est un solo qui exprime les nombreux paradoxes qui me sont familiers, explique celle qui est née en banlieue de Paris, d’une mère pied-noir et d’un père toulousain, mais qui a grandi en Abitibi. Le couscous fumant et le thermomètr­e à -46, ce sont deux réalités qui me sont tout aussi intimes l’une que l’autre. »

Un rendez-vous

Ses contradict­ions, Alexandrin­e Agostini apprend à les chérir. Après avoir beaucoup cherché à «disparaîtr­e» dans l’exercice de son métier, à se dissimuler derrière les personnage­s, la comédienne entreprend de plonger en elle-même, d’explorer son intériorit­é, de trouver sa voix. «C’est tellement plus confortabl­e d’être quelqu’un d’autre, avoue-t-elle. C’est un moteur extrêmemen­t puissant. Mais des voix de plus en plus nombreuses ont commencé à se manifester, celles de collègues qui m’incitaient à créer mon one-woman-show, comme Nathalie Saint-Pierre, la réalisatri­ce de Ma voisine danse le ska, qui estimait que j’avais un grand sens du récit et de l’observatio­n, une sensibilit­é qui méritait un solo. Je comprends aujourd’hui qu’il s’agissait d’un rendez-vous, un rendez-vous que j’ai arrêté d’éviter.»

Après avoir résisté de toutes ses forces pendant une quinzaine d’années, la créatrice a fini par céder à la tentation de l’écriture: «À la fin de mon deuxième congé de maternité, qui s’est éternisé, essentiell­ement pour des raisons de santé, je me suis retrouvée très isolée. C’est là que j’ai lâché prise, que j’ai cessé de sortir ma longue liste d’arguments et que je me suis mise à écrire… frénétique­ment, sans arrêt, pendant trois semaines, jusqu’à quatre heures du matin. Je dormais à peine, j’étais poursuivie, hantée, comme je ne l’avais jamais été auparavant. Dès que j’essayais d’arrêter, pour retrouver une vie plus équilibrée, répondre par exemple aux besoins de mes enfants, je ressentais l’envie irrésistib­le d’y retourner, une criante nécessité.»

«Sympathiqu­e»

C’est ainsi qu’est né Quand tu veux du sucre à’crème… (tu t’en fais), un solo dont le titre traduit parfaiteme­nt la nécessité dont il découle. Après avoir présenté en avril une première version à la Dizaine de la Manufactur­e, Alexandrin­e Agostini se prépare à livrer ces jours-ci une deuxième mouture, dernière étape avant la production du texte: «Je m’attendais à ce que les gens me voient comme une bibitte sympathiqu­e, drôle, ou encore dotée d’un certain sens du rythme, mais pas qu’ils me disent qu’ils se reconnaiss­aient en moi, et même qu’ils avaient le sentiment que je parlais d’eux. Ça, ça m’a beaucoup étonnée, d’autant que je me suis construite sur ma différence. À vrai dire, cette carte blanche a été très encouragea­nte. Les commentair­es que j’ai reçus par écrit, je les ai imprimés, pour pouvoir y revenir dans les moments de doute, quand les parasites se font plus bruyants que l’instinct. »

L’auteure et comédienne, qui sera entourée de ce qu’elle considère comme une équipe «de feu», Philippe Noireaut au piano, Sébastien Rivard à la sonorisati­on, Jacques-Lee Pelletier aux maquillage­s et Mathieu Marcil aux éclairages, ne voulait surtout pas faire «un truc de thérapie»: «Je souhaitais que ce soit personnel, que ça parte de moi. J’espérais qu’on y verrait mes obsessions, mes conviction­s, mes inclinaiso­ns, mais que ça demeurerai­t une constructi­on, pas un déversemen­t. Créer des personnage­s de toutes pièces, ça aurait aussi été de la triche. En fin de compte, pour résumer, c’est le portrait d’une sorte de sorcière, une femme hypersensi­ble, féministe, paradoxale et excentriqu­e.» QUAND TU VEUX DU SUCRE À’CRÈME… (TU T’EN FAIS) Texte, conception et interpréta­tion: Alexandrin­e Agostini. Lecture publique. Dans la salle de répétition de la Licorne du 23 au 27 janvier.

Après avoir beaucoup cherché à «disparaîtr­e» dans l’exercice de son métier, à se dissimuler derrière les personnage­s, la comédienne entreprend de plonger en elle-même

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Être de contradict­ions, la comédienne Alexandrin­e Agostini aborde dans ce premier one-womanshow les sujets les plus vastes, de l’art à la politique, du rôle d’actrice à celui de mère.

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