Le Devoir

Brève histoire du désembriga­dement

Peut-on vraiment sortir un nazi, un communiste, un islamiste de leurs doctrines extrémiste­s ?

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Nazi un jour, nazi toujours? TV5 rediffuse lundi un documentai­re intitulé Dans la tête des SS, dans lequel d’anciens soldats de l’ordre noir, maintenant quasi centenaire­s, évoquent les raisons de leur engagement, parlent ouvertemen­t des crimes commis pendant la Deuxième Guerre mondiale au nom de la «religion de la race». Certains ne regrettent absolument rien et nient la Shoah.

La démonstrat­ion pointe vers ce constat imparable: la dénazifica­tion qui a servi à éradiquer le nazisme de la vie publique allemande n’a finalement pas déraciné cette idéologie des esprits des plus fervents nazis. Déradicali­sation? Nein, danke!

Le conditionn­ement et le déconditio­nnement idéologiqu­e des individus obsèdent les sociétés humaines comme les institutio­ns hégémoniqu­es, pour le plus juste comme pour le pire. L’Église catholique a inventé la confession pour contrôler jusqu’aux pensées des fidèles. Les régimes communiste­s assassinen­t en masse les «ennemis du peuple» et au moins pire forcent leur « rééducatio­n ».

La CIA a financé des recherches de manipulati­on mentale dans des dizaines d’université­s (y compris McGill) dans les années d’aprèsguerr­e pour découvrir un moyen fiable de «laver le cerveau» des ennemis fanatisés. Un épisode de la série Manhunt : Unabomber (disponible sur Netflix) rappelle les terribles expérience­s de l’Université Har vard.

Le terme «déradicali­sation» décrit maintenant les techniques d’inversion du processus de radicalisa­tion des partisans du terrorisme islamiste. La chute du groupe armé État islamique et le retour à la maison conséquent de jeunes Occidentau­x fanatisés partis faire le djihad rendent encore plus nécessaire l’applicatio­n d’une méthode efficace de désembriga­dement. Il s’agit en quelque sorte de l’équivalent humain, trop humain, du désamorçag­e d’une bombe ou du déminage d’un terrain…

Le succès de l’audacieuse manipulati­on ne semble pas plus évident que du temps du projet MK-Ultra de la CIA ou de la grande dénazifica­tion il y a 70 ans. La France a avoué l’échec de son centre de déradicali­sation de Pontourny (Indre-et-Loire), ouvert à titre expériment­al en septembre 2016 et fermé dès l’été suivant. Paris lancera le mois prochain un comité interminis­tériel pour lutter contre la radicalisa­tion impliquant le ministère de l’Éducation et les agences régionales de santé.

Québec a adopté un Plan d’action gouverneme­ntal de lutte contre la radicalisa­tion en 2015. Le Centre de prévention de la radicalisa­tion menant à la violence existe aussi depuis ce temps. Il « met en avant la prévention plutôt que la répression, l’accompagne­ment psychosoci­al plutôt que la judiciaris­ation ou l’exclusion sociale », selon ses documents officiels.

C’est ce centre qui vient d’embaucher à titre de consultant­s le jeune couple DjermaneMa­hdi, acquitté récemment à Montréal de terrorisme, pour fournir de l’expertise rémunérée dans certains efforts de déradicali­sation. Sympathisa­nt islamiste hier, militant déradicali­sateur aujourd’hui ?

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