Hommage à Louis Berlinguet (1926-2018)
Louis Berlinguet vient de nous quitter. On se surprendrait à penser qu’il l’a fait en pleine force de l’âge tant l’image que nous en conserverons restera celle d’un homme animé d’une énergie débordante, d’un enthousiasme communicatif, d’une curiosité intellectuelle sans limites et d’une détermination sans faille.
Recruté très jeune comme professeur à l’Université Laval, il devint par la suite l’un des pionniers de la recherche universitaire au Québec francophone, un professeur réputé, un spécialiste reconnu de la biochimie des acides aminés. Auteur d’une centaine d’articles scientifiques et témoin actif de la genèse de la biologie moléculaire au milieu des années 1950, l’une de ses grandes satisfactions, comme il le confierait lui-même, fut d’être directement associé, un demi-siècle plus tard, à la création et à l’administration de Génome Québec.
Louis Berlinguet appartient à la génération des grands bâtisseurs de la Révolution tranquille. Ce Trifluvien né en 1926 fut en effet de l’équipe visionnaire de la création du réseau de l’Université du Québec et son premier vice-président à la recherche, en même temps que le premier président du conseil de l’Institut national de la recherche scientifique. Cet établissement, au sein duquel il devait quelques décennies plus tard faciliter l’intégration de l’Institut Armand-Frappier, lui dut beaucoup de son élan et de son premier essor.
Pionnier, Louis Berlinguet le fut aussi à bien d’autres titres. Il sera premier vice-président du Centre de recherche pour le développement international, premier sous-ministre en titre du ministère d’État à la Science et à la Technologie à Ottawa, premier titulaire de la fonction de scientifique en chef du gouvernement canadien ou encore conseiller scientifique de l’ambassade du Canada à Paris.
De nombreuses responsabilités
La liste qui prétendrait aligner tous les organismes où Louis Berlinguet a exercé des responsabilités de premier plan serait longue et probablement incomplète. Mentionnons, parmi bien d’autres, l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail, le Conseil de la science et de la technologie du Québec, le Centre de recherche en calcul appliqué et le Centre francophone d’informatisation des organisations. Partout s’est imposée sa réputation d’administrateur averti et consciencieux, apte aux visions larges et prospectives, comme aussi sa parfaite, exigeante et exemplaire intégrité.
L’âge venant, Louis Berlinguet ne consentit jamais à aller grossir les rangs des nostalgiques et des passéistes. Optimiste et déterminé, il professa toujours que notre avenir, pourvu qu’on s’attachât avec lucidité à le préparer et à le maîtriser, serait plus que notre passé et notre présent riche de possibilités. C’est ce dont peuvent d’ailleurs encore aujourd’hui témoigner les membres de la Commission québécoise sur l’autoroute de l’information que présida Louis Berlinguet, un mandat que lui avait confié le premier ministre Jacques Parizeau en 1995.
Il savait le développement de la recherche et de l’innovation d’importance décisive pour l’avenir collectif et s’en fit l’inlassable promoteur. Ses interventions et ses contributions sont à cet égard innombrables, et leurs effets d’autant plus multipliés qu’il sut associer universitaires, industriels et gens d’affaires, communicateurs scientifiques et fonctionnaires dans des entreprises communes vouées au bien commun. Usant de sa personnalité si accueillante et chaleureuse, bénéficiant d’une réputation bien méritée de désintéressement et d’intégrité sans faille, jouissant d’une réputation bien justifiée d’efficacité, Louis Berlinguet fut un grand passeur, un médiateur d’une exceptionnelle efficacité. Ses convictions affirmées et ses engagements stratégiques portèrent des fruits si nombreux, si largement partagés et si durables parce qu’il s’avéra aussi un efficace tacticien des relations intersectorielles, interdisciplinaires et interpersonnelles.
Ses grandes contributions d’intérêt collectif devaient évidemment lui assurer des marques publiques de reconnaissance. Effectivement, il en a reçu de très prestigieuses: fellow de la Société royale du Canada, officier de l’Ordre national du Québec, officier de l’Ordre du Canada, Prix du Québec Armand-Frappier, doctorats honoris causa, prix et distinctions d’associations scientifiques, comme l’Acfas, dont il fut aussi le président, l’Association de la recherche industrielle du Québec (ADRIQ), ou, parmi encore bien d’autres, l’Association canadienne de la gestion de l’innovation.
Sans doute en était-il heureux, heureux de cette reconnaissance envers son service et soucieux jusque vers la fin de continuer de servir. Mais couvert de telles distinctions, l’homme restait égal à lui-même, sans trace de fatuité, ouvert et accueillant à qui sollicitait son conseil ou son aide, passionné par l’actualité scientifique et politique, et toujours d’une généreuse disponibilité à servir la cause de la science, de l’innovation, du bien-être collectif et de l’avenir des générations montantes.
Louis Berlinguet nous a quittés, mais nous sommes nombreux à savoir qu’il ne quittera pas nos mémoires et qu’il prendra place dans notre mémoire collective d’une manière durable. La création d’un prix de l’Acfas portant son nom a pour but d’y contribuer.
*Ont cosigné ce texte: Claude Corbo, ancien recteur de l’UQAM; Camille Limoges, ex-sous-ministre au gouvernement du Québec; Marie Meunier, ancienne ambassadrice du Canada; Jean Rochon, ex-ministre du gouvernement du Québec; Céline Saint-Pierre, professeure émérite de l’UQAM; Charles Sirois, président de Télésystème ltée; Robert Tessier, président du conseil de la Caisse de dépôt et placement; Diane Wilhelmy, ex-sous-ministre au gouvernement du Québec.