Pour qu’ils ne soient pas morts en vain, bis
Un an après la tuerie au Centre culturel islamique de Québec, où en sommes-nous dans nos rapports avec les citoyens de confession musulmane? Les progrès sont réels, mais encore trop modestes.
Pour qu’ils ne soient pas morts en vain », titrait l’éditorial du Devoir du 31 janvier 2017. Dans un texte écrit à chaud, encore engourdis par l’étendue de l’horreur, nous exprimions le souhait que l’assassinat de six fidèles en pleine prière, par l’auteur présumé du carnage, Alexandre Bissonnette, serve de prise de conscience sur la nécessité de changer de ton et d’ouvrir des dialogues avec les musulmans du Québec. Qu’en est-il un an plus tard? «On a fait du chemin, mais pas assez », confiait l’imam Hassan Guillet, qui avait livré un discours aussi émouvant que cohérent au lendemain de la tuerie du 29 janvier 2017. L’élan de solidarité affiché par les Québécois a très vite cédé la place à une « zizanie », constate-t-il.
Dans la dernière année, trois bigots et demi ont réussi à torpiller un référendum sur un projet de cimetière musulman à Saint-Apollinaire. La Meute a soufflé sur les braises de l’intolérance, en se drapant avec maladresse dans la liberté d’expression et la défense de l’identité québécoise. La dénonciation des intégristes, absolument nécessaire, a mené une certaine presse à mettre en scène des périls imaginaires. Les crimes haineux visant les musulmans sont à la hausse : livraison à domicile de têtes de porc, incendie de la voiture d’un imam, insultes et ainsi de suite. Ce sont des réalités, qu’elles nous plaisent ou non.
Il serait hasardeux de monter en épingle une série de faits de société pour en conclure à l’existence d’un climat délétère pour l’ensemble des musulmans. Aussi vrai qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, les Québécois ne sont pas plus racistes ou islamophobes que le reste de leurs semblables sur le continent nord-américain. Il n’empêche que le malaise persiste. Le débat difficile sur le sentiment de sécurité des musulmans, sur le racisme et la discrimination dont ils sont la cible, comme d’autres groupes issus des minorités, manque encore de sérénité.
Un an plus tard, il faut le redire. L’attentat perpétré par le présumé tueur, Alexandre Bissonnette, est un geste islamophobe qu’il faut dénoncer comme tel. Le fait de l’affirmer n’enlève rien au caractère inclusif et progressiste du Québec, bien au contraire.
Le mot «islamophobie» est à proscrire au sein du Parti québécois (PQ), qui préfère y substituer l’expression «sentiment antimusulman ». La prouesse sémantique ne passe pas le test du gros bon sens. Accepterait-on de parler de sentiment anti-gai en lieu et place de l’homophobie? De sentiment anti-juif au lieu d’antisémitisme? Le PQ justifie sa position par le fait que le terme «islamophobie» est récupéré par les intégristes musulmans, ce qui est vrai. Mais les intégristes ne détiennent pas le monopole de l’usage de ce terme, largement répandu dans le discours populaire et la recherche scientifique. Refuser l’idée même du débat sur l’islamophobie, c’est nier aux principaux intéressés la liberté de nommer les choses comme ils les ressentent.
De là à faire du 29 janvier une journée nationale de commémoration de l’islamophobie, il y avait un pas à ne pas franchir. Cette démarche, entreprise par le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), sentait l’instrumentalisation à plein nez. La tragédie de Québec est encore beaucoup trop fraîche dans la mémoire collective pour qu’on puisse lui attribuer une signification définitive. C’est à la société civile, de concert avec les familles éplorées, qu’il appartiendra de donner à ce triste anniversaire sa réelle signification. La fraternité et la compassion, si vives dans les premiers moments de douleur collective, de même que la condamnation du racisme et des préjugés antireligieux sous toutes leurs formes demeurent les avenues plus porteuses pour une commémoration axée sur le dialogue et la réconciliation.
Alors que le Québec est sur un mode pré-électoral permanent, il faut espérer que les formations politiques se gardent d’instrumentaliser les questions identitaires et la place des minorités à des fins partisanes.
Comme le rappelait récemment dans son blogue le professeur Alain Saulnier (administrateur au Devoir), il ne manque pas de menaces identitaires pour quiconque s’intéresse à la survie de cette aventure singulière qu’est le fait français en Amérique du Nord. Les hidjabs, burqas et niqabs sont autrement moins préoccupants que l’intrusion grandissante des géants numériques dans nos économies et les menaces qu’ils font peser sur la culture et l’identité francophones. Voilà un thème qui devrait préoccuper nos élus.