Le Devoir

Un peu de compassion pour la Scouine

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Dans la cinquième partie du premier chapitre de son roman de 1918, Albert Laberge raconte avec un étonnant détachemen­t comment le méchant François Potvin et sa bande urinent sur Paulima, alias la Scouine, afin de la punir d’avoir dénoncé un de leurs mauvais coups à la maîtresse d’école. Une odeur de pisse pourchassa­it déjà la petite commère, d’une indicible laideur, qui chaque nuit mouille son lit.

En inversant ces deux éléments dans la chronologi­e de son remake, Gabriel MarcouxCha­bot fournit d’abord une cohérence plus grande au livre de Laberge : la Scouine mouillera désormais son lit parce qu’elle revit en cauchemar cet événement traumatiqu­e.

Plus qu’un vague réaménagem­ent cosmétique, ce choix significat­if, imprégné des sensibilit­és de notre époque, invite à une réelle compassion pour le personnage-titre, là où la narration d’origine adoptait une froide distance ironique.

La Scouine de Laberge, roman sombre étouffant tout espoir, gagne ainsi en lumière grâce à la bienveilla­nce de Marcoux-Chabot, mais aussi grâce à ces évocations du désir électrifia­nt le personnage de Charlot à la vue du Taon, sorte de bum faisant « le commerce des os, des ferrailles et des guenilles. »

Métamorpho­se en fable

Considéré depuis plus de 50 ans comme une charge contre les rigueurs de la vie rurale et le joug d’un clergé ne prônant la générosité qu’en chaire, ce classique de la littératur­e québécoise se métamorpho­se en fable sur la marginalit­é et sur la solidarité unissant ceux que le mauvais sort frappe arbitraire­ment dès l’enfance.

Malgré son travail de réécriture, Gabriel Marcoux-Chabot propose donc d’abord et avant tout une relecture (au sens de lecture nouvelle) qui recadre, davantage qu’elle bonifie, le texte de départ.

Il s’agit sans doute là de la plus importante contributi­on de cette « Scouine 2.0 » que de nous rappeler qu’une grande oeuvre en cache toujours plusieurs.

 ??  ?? La Scouine (d’après Albert Laberge) ★★★ Gabriel Marcoux-Chabot, La Peuplade, Chicoutimi, 2018, 136 pages
La Scouine (d’après Albert Laberge) ★★★ Gabriel Marcoux-Chabot, La Peuplade, Chicoutimi, 2018, 136 pages

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