La peinture n’est jamais morte
Le réputé théoricien René Payant avait vu en Richard Mill le renouveau de la peinture
Le cliché veut que les années 1970 et 1980 correspondent aux décennies pendant lesquelles la peinture tombe de son piédestal. Elle n’est plus la discipline reine, notamment parce que la vidéo, la performance et un art conceptuel sans limites posent les nouveaux paramètres.
Richard Mill fait partie de la génération de peintres abstraits qui apparaissent à cette époque. Son approche essentiellement picturale, et uniquement picturale, est un bon exemple de la manière dont l’expression sur toile a gardé sa pertinence.
L’exposition Richard Mill 1970-1980 donne l’occasion à la galerie Trois Points de sortir de l’oubli des tableaux parmi les premiers signés par l’artiste de Québec. Le diffuseur du Belgo honore cette peinture qui n’est pas née en rupture avec le mouvement plasticien qui précède. Mais qui ne s’en est pas réclamé non plus l’héritière.
Le minimalisme de Mill, même quand il inclura l’expression gestuelle, sera toujours porté par l’exploration de la surface, du plan pictural. Ce sont les limites du tableau, ainsi que sa forme, qui orientent les choix de l’artiste.
Les deux salles de la galerie sont mises à profit: l’une est réservée à quatre oeuvres des années 1970, l’autre à un nombre égal des années 1980. Dans les deux cas, ce sont de grands tableaux, massifs, les plus anciens dominés par un noir couvrant presque la totalité de la toile, les plus récents davantage colorés et fragmentés.
Le caractère physique des oeuvres est accentué par la hauteur à laquelle elles sont accrochées, suffisamment bas pour qu’on ait l’impression qu’elles sont attirées par le sol. Cette peinture est bien celle que décrivait, en 1979, l’éminent René Payant: «La peinture ne concerne pas que l’oeil, mais aussi la main et sans doute le corps tout entier. »
Le théoricien et historien de l’art décédé en 1987 voyait en Mill un porte-étendard de cette peinture nouvelle, garante d’avenir et libérée des «impératifs» formalistes. «La survie de la peinture, disait-il, est peut-être aujourd’hui le retour de l’inadmissible dans la peinture. La raison ne tue pas les désirs, elle ne fait que les masquer, que les détourner. »
Comme Jacques Hurtubise ou Serge Lemoyne, Richard Mill a marié l’abstraction géométrique à la touche expressive. Les tableaux des années 1980, qui ouvrent l’exposition au Belgo, sont l’expression la plus manifeste de ce courant. Ce sont des oeuvres non narratives ou si elles le sont, narratives, c’est pour parler d’espace pictural. Celui de l’acrylique RM 1313 (1982) est dynamique, plombé par un grand polygone noir dans le haut du tableau, mais comme flambé par des figures, des bleues et une rouge dans sa partie inférieure. Des parties intactes, ou de la couleur de la toile, complètent souvent la composition, marquant parfois, comme ici, la distance entre ses différents éléments.
Les tableaux des années 1970, des monochromes noirs à quelques centimètres près, sont en apparence des propositions plus radicales — surtout à l’égard des études chromatiques de Molinari et compagnie de l’époque. Des franges plus pâles rappellent autant le support que le processus de création. C’est le cas notamment des oeuvres RM1072 (1974) et RM 1026 (1973), où des lignes de la largeur et de la couleur du ruban-cache rehaussent la masse noire. La font presque flotter.
Richard Mill, toujours actif, n’a peut-être pas renouvelé sa peinture chaque décennie. Il a ainsi brillé par son absence de Projet peinture (2013), vaste panorama pancanadien de la Galerie de l’UQAM. L’enseignant retraité de l’Université Laval n’en a pas moins été une des figures de la peinture alors que celle-ci faisait moins parler d’elle. Il a été un de ceux qui ont maintenu le fil de l’histoire, comme le prouvait sa présence dans l’exposition du Musée d’art contemporain La question de l’abstraction (2012-2016) — un Sans titre (1988) de Mill figurait dans la section «Réinventer la peinture abstraite?». La galerie Trois Points lui rend, à son tour, un juste hommage.
Richard Mill 1970-1980 Galerie Trois Points (372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 520), jusqu’au 24 février.