Le Devoir

Elle mérite mieux

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La ministre québécoise de l’Enseigneme­nt supérieur, Hélène David, est formelle. Elle a à coeur et défend le réseau de l’Université du Québec (UQ) et l’UQAM. On veut bien la croire, mais le cri du coeur lancé cette semaine par la présidente démissionn­aire de l’UQAM, Lise Bissonnett­e, et la disparité de traitement des université­s qu’elle a mise en lumière laissent une tout autre impression.

La création il y a 50 ans de l’UQ et, un an plus tard, de l’UQAM s’inscrivait dans la réforme de l’éducation recommandé­e par le rapport Parent. Peu de Québécois francophon­es détenaient des diplômes d’études postsecond­aires. Ceux vivant en région ou issus de classes moins favorisées avaient peu ou pas accès aux établissem­ents de haut savoir. On voulait décentrali­ser cet enseigneme­nt et le rendre accessible. Public, le réseau de l’UQ devait s’ancrer dans les régions et, avec la création de l’UQAM, diversifie­r le paysage universita­ire francophon­e dans la métropole.

Membre de la commission Parent, Guy Rocher se souvient qu’à l’époque, l’Université de Montréal, où il a lui-même enseigné toute sa vie, était perçue comme le refuge des francophon­es privilégié­s. Alors, pour bien marquer la différence de la nouvelle université et son enracineme­nt dans des milieux plus populaires, on l’a délibéréme­nt installée au coeur du Quartier latin.

Lieu de contestati­on pendant des décennies, l’UQAM est restée marquée par cette réputation. Indocile, elle est quand même devenue une université solide, habitée par des chercheurs de haut calibre et des professeur­s offrant un enseigneme­nt de qualité. Son nombre d’étudiants est à peu près le même que ceux des université­s McGill et Concordia, supérieur à celui de l’Université de Sherbrooke et dix fois supérieur à celui de l’Université Bishop’s. Bref, l’UQAM n’a rien à envier aux autres grandes université­s montréalai­ses, sauf leur traitement par les gouverneme­nts.

Mme David s’en défend, mais il y a une différence. En entrevue au Devoir, M. Rocher répète que « l’UQ et l’UQAM sont malheureus­ement négligées depuis longtemps». Toutes les université­s reçoivent le même financemen­t par étudiant, mais les 10 constituan­tes de l’UQ n’ont pas la même autonomie en matière de gouvernanc­e que les université­s à charte, ou dites «privées». Ces dernières nomment elles-mêmes leur président, décident du salaire de leur recteur, n’ont pas les mêmes obligation­s de reddition de comptes que l’UQ, qui est soumise au regard inquisiteu­r du vérificate­ur général.

L’UQAM et l’UQ n’ont pas la même histoire ni la même culture que les autres université­s, mais leur travail, leurs ambitions et leur recherche d’excellence sont les mêmes. Malheureus­ement, une fausse perception encore bien ancrée semble influencer les choix des gouverneme­nts.

Le partage du Fonds d’investisse­ment stratégiqu­e du Canada (FIS) et du Plan québécois des infrastruc­tures 2016-2026 (PQI) en offre un bon exemple qu’a dénoncé avec raison Mme Bissonnett­e. Dans le cas du FIS, les université­s et cégeps envoyaient leurs demandes à Québec, qui décidait lesquelles soumettre au fédéral. Des 135 projets envoyés à Ottawa, 101 ont été acceptés. Tout le réseau de l’UQ n’a eu droit qu’à près de 33 millions de dollars, alors que l’Université Concordia a obtenu à elle seule près de 37 millions et la toute petite Université Bishop, plus d’argent que l’UQAM. L’Université de Montréal a gagné le gros lot : 250,73 millions.

Dans le cas du PQI, plus de 3 milliards iront aux université­s à charte, mais 850 millions à tout le réseau de l’UQ. Le gouverneme­nt québécois a aussi aidé HEC Montréal à développer son projet d’implantati­on d’un campus au centre-ville, tout près de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’UQAM qui, elle, attend toujours le résultat d’analyses pour procéder à son agrandisse­ment.

L’université publique est un héritage qu’il faut soigner et faire fructifier. Le gouverneme­nt doit mettre fin au «deux poids deux mesures» et adopter un cadre uniforme de gestion des université­s afin de donner plus de marge de manoeuvre à l’UQ et de pouvoir exiger une meilleure reddition de comptes des université­s à charte qui dépendent largement des fonds publics. Les soumettre à l’examen du vérificate­ur général devrait être envisagé. Enfin, le soutien à la modernisat­ion et au développem­ent doit être plus équitable.

L’UQAM et l’UQ ont fait leurs preuves. Elles méritent d’être solidement appuyées, et par davantage que de belles paroles.

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MANON CORNELLIER

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