Les monopoles d’Internet
Le sociologue Philippe de Grosbois appelle à décloisonner nos territoires numériques
Facebook est devenu une importante source d’information pour plus de deux milliards de personnes — le tiers de la planète. Mais les utilisateurs de ce réseau devront-ils revoir leur pratique prochainement? En début d’année, l’empire de Mark Zuckerberg a annoncé une refonte majeure: le contenu partagé par nos «amis» et nos proches occuperont le haut du pavé de notre fil d’actualité, relayant le reste au second plan, voire aux oubliettes.
«Nous voulons que le temps passé sur Facebook en soit un de qualité», résumait dans sa missive le grand patron de l’entreprise californienne. Une décision qui fait sourciller le sociologue Philippe de Grosbois. «Quelques personnes — un segment très privilégié de la société américaine — prennent une décision, font quelques modifications opaques à leurs algorithmes, et ç’a des effets sur des débats démocratiques, sur la participation sociale de deux milliards de personnes. »
Facebook, mais aussi les autres géants américains de la Silicon Valley — regroupés sous l’acronyme GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) — monopolisent de plus en plus l’attention des internautes, les influençant par la même occasion, estime celui qui signe aujourd’hui un essai intitulé Les batailles d’Internet. Assaut et résistances à l’ère du capitalisme numérique.
Sur près de 260 pages, le sociologue y délimite le «champ de bataille» qu’est devenu Internet. Et les fronts où il est impératif de donner l’assaut sont nombreux à ses yeux. «Si nous laissons les géants qu’on surnomme GAFAM et les États subordonner le réseau à leurs intérêts, nous risquons fort de perdre ces batailles et, avec elles, les bienfaits potentiels d’Internet», écrit-il en introduction.
Ce n’est un secret pour personne: la vaste majorité des revenus publicitaires générée sur le Web tombe dans les mains de Google et Facebook grâce à la masse de données qu’ils collectent sur les internautes fréquentant leur plateforme. «Ces firmes ne détiennent pas seulement des ressources économiques qui équivalent à celles d’États entiers, elles en ont également les aspirations politiques», avance dans son ouvrage Philippe de Grosbois.
L’auteur prend pour exemple le «Safety Check» («vérification de sécurité») de Facebook. Lors de l’attentat qui a secoué la ville de Barcelone en août dernier, le réseau social a activé cette fonctionnalité qui permettait aux internautes d’informer leurs proches et de chercher des renseignements sur l’attaque.
«C’est quelque chose qui relève de la sécurité publique, s’alarme-t-il. Il y a des choix éditoriaux qui sont faits pour choisir quel événement va déclencher cette fonctionnalité-là. Est-ce que ce sera fait pour une catastrophe naturelle, pour un attentat contre la mosquée de Québec ? »
L’essayiste plaide pour que les clôtures ceinturant ces «jardins fermés» que représentent les plateformes des GAFAM soient abolies et qu’ils communiquent entre eux. Cela pourrait favoriser l’arrivée de nouveaux joueurs et opposer aux géants du Web une saine concurrence.
«Ce qui nous attend, c’est des batailles contre des monopoles. Si on les fait bien et qu’on réussit à forcer ces réseaux-là à faire tomber les murs de leur jardin, on peut imaginer un Internet plus intéressant que ce vers quoi on semble se diriger maintenant.»