Un ombudsman pour surveiller les entreprises canadiennes à l’étranger
Les minières sont particulièrement dans le collimateur des associations sur le terrain
Il y a plus de dix ans que, sur le terrain, on attendait cette annonce, et le gouvernement libéral de Justin Trudeau l’a faite. Le ministre du Commerce international, François-Philippe Champagne, a en effet promis la création rapide d’un poste d’ombudsman pour la conduite responsable des entreprises à l’étranger. Un bureau qui aura notamment pour mandat de surveiller les minières canadiennes, souvent accusées de violer les droits de la personne dans les pays du Sud.
«C’est un beau succès, admet Lore Bolliet, animatrice de Développement et Paix pour la grande région de Montréal, l’un des organismes ayant organisé la campagne pour la création de ce poste d’ombudsman. Pour le moment, on célèbre, mais on sait qu’il va falloir très vite que l’on se remobilise afin que ce bureau ne soit pas qu’une coquille vide. L’ombudsman doit avoir des pouvoirs d’enquête. Il doit être indépendant à la fois du gouvernement et de l’industrie, avoir un budget suffisant et pouvoir faire des recommandations qui mèneront à des sanctions. »
Même discours du côté de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). Sa directrice générale, Michèle Asselin, raconte qu’année après année, sur le terrain, partout dans le monde, les membres rapportent des cas de violation des droits de la personne à l’encontre des populations locales par les compagnies minières.
Contamination des cours d’eau, diminution de la qualité de l’air et des sols mettant en péril la capacité des populations à produire leur alimentation, déforestation abusive, criminalisation des défenseurs des droits de la personne, transgression du droit à la syndicalisation et à la négociation des contrats… autant de cas que les militants sur le terrain ont pu documenter.
Première mondiale
«Il y a plusieurs bonnes nouvelles dans cette annonce, note Mme Asselin. Le fait que le mandat de l’ombudsman ne soit pas réduit aux compagnies extractives, mais qu’il touche d’autres secteurs industriels en est une. Je pense notamment au textile. »
La d.g. de l’AQOCI rappelle qu’en 2013, lors de l’effondrement d’un atelier textile ayant fait plus de 1100 morts au Bangladesh, le milieu s’était mobilisé pour que les entreprises soient désignées responsables par rapport aux victimes et à leurs familles. Elle souligne que la nomination de l’ombudsman facilitera ce type de demandes.
Depuis l’annonce du ministre Champagne, les commentaires se concentrent cependant principalement sur l’industrie minière. Parce que c’est surtout elle qui avait été montrée du doigt durant la campagne de mobilisation.
«La grande majorité des sièges sociaux des compagnies minières dans le monde est basée au Canada, justifie Elana Wright, chargée de plaidoyer et de recherche à Développement et Paix. Nous avons donc la responsabilité particulière d’exiger que ces entreprises rendent des comptes sur les impacts de leurs agissements. Que peut un habitant du Honduras contre une multinationale? C’est pourquoi nous souhaitions la mise en place d’un système non judiciaire, abordable et accessible pour les communautés les plus pauvres. »
Mme Wright se félicite d’autant plus de cette annonce qu’elle affirme qu’il s’agit là d’une première mondiale.
«Il existe des réseaux de surveillance concernant le commerce international en Europe notamment, indique-telle, mais c’est la première fois qu’un pays nomme un ombudsman pour surveiller les agissements de ses entreprises en matière de droits de la personne. »
Un bureau d’ici septembre
À l’échelle du Canada, 500 000 personnes se sont mobilisées au cours de ces dix dernières années. Deux campagnes se sont succédé et ont mené à la signature de plus de 230 000 cartes d’action demandant la création du poste d’ombudsman. Nombreux sont ceux qui ont demandé des rendez-vous avec leur député pour évoquer la question. Et par deux fois, les membres sont allés sur la colline parlementaire à Ottawa pour remettre les fameuses cartes.
« Beaucoup de personnes de la société civile ont à coeur de porter le message de justice sociale et ont soutenu le mouvement, note Lore Bolliet. Nous vivons dans un monde globalisé où tout est lié. Le mouvement a aussi été l’occasion de se questionner sur nos propres manières d’agir ici, sur la société de consommation. C’est certain que cela a un lien avec ce qui se passe ailleurs. »
Dans ce dossier, le ministre François-Philippe Champagne a affirmé sa volonté d’agir rapidement. Le bureau devrait être ouvert dès le mois de septembre. Mais ce qui intéresse le plus les associations, c’est de savoir quand les plaintes pourront être déposées et quand l’«ombudsman canadien pour la responsabilité sociale des entreprises» fera ses premières recommandations.
«Nous serons alors là pour surveiller ce que le gouvernement en fera, assure Michèle Asselin. Les entreprises fautives pourraient par exemple se voir refuser des subventions ou des avantages fiscaux. Quoi qu’il en soit, il faudra trouver des moyens de pression. »