Le Devoir

Wall Street perd pied

Les investisse­urs appréhende­nt une hausse de l’inflation et des taux d’intérêt

- GÉRARD BÉRUBÉ

La glissade de Wall Street la semaine dernière a pris des proportion­s émotives lundi. La correction boursière tant appelée depuis un an a pris le relais de cette complaisan­ce ayant conduit les principaux indices à leur sommet historique, sur fond de hausse des taux d’intérêt à des niveaux critiques.

Les principaux indices américains,S&P 500 en tête, se sont repliés de 4% la semaine dernière. Ils ont encaissé une perte similaire en une seule séance, lundi. À un certain moment en cours de séance, l’indice symbolique de Dow Jones s’affichait en recul de 10% depuis son sommet historique du 26 janvier.

«Ça faisait plus d’un an et demi, soit quelque 400 jours, que nous n’avions pas eu de correction de 5% ou plus en Bourse. Il y avait beaucoup de complaisan­ce», a commenté Éric Corbeil, économiste principal, Recherche économique et stratégie chez Valeurs mobilières Banque Laurentien­ne.

«On avait perdu l’habitude de voir les indices accélérer du côté négatif», a déclaré à l’Agence FrancePres­se un vétéran de la place new-yorkaise.

La chute des indices américains s’est accélérée à partir de la mi-séance, avec un Dow Jones tombant de plus de 6%, pour s’atténuer dans les minutes précédant la cloche. À la fermeture, le Dow comptabili­sait un repli de 4,6%, ou de 1175,21 points, à 24 345,75. LeS&P 500, plus représenta­tif, a perdu 4,1%, ou 113,19 points, à 2648,94. Il s’agit de sa perte la plus élevée depuis août 2001, a indiqué l’agence Reuters. Le système de coupe-circuit, qui interrompt momentaném­ent les échanges lorsque le S&P 500 chute de 7 % ou plus n’a cependant pas été activé.

L’«indice de la peur» du S&P 500 a dépassé les 37 points, témoignant de l’émotivité du marché

À Toronto, l’indice composéS&P/TSX a affiché une perte moindre, de 1,7%, à 15 334,81 points.

Au Japon, la Bourse de Tokyo a ouvert mardi en baisse de 4%, emboîtant ainsi le pas à celle de New York. Une heure après l’ouverture, l’indice Nikkei perdait 5 %.

Afin d’illustrer la frénésie, l’indice VIX de volatilité duS&P 500 a bondi de 115,6% lundi, ou de 20 points, pour toucher les 37,32. Cet «indice de la peur» évolue généraleme­nt entre 10 et 30 points. Au-dessus de 30, on entre en territoire émotif. L’émotivité prend alors le dessus sur le rationnel.

Tous ces aléas ont pour trame une remontée des taux d’intérêt aux États-Unis. Lundi, le taux baromètre à 10 ans des bons du Trésor américain a grimpé jusqu’à 2,88%, touchant son plus haut niveau depuis 2014. Et cette pression haussière a été exacerbée par les données sur l’emploi américain publiées vendredi. Selon les chiffres du départemen­t du Travail, l’économie a créé 200 000 emplois nets en janvier. Et ce qui est bon pour l’économie n’étant pas nécessaire­ment agréable à entendre pour Wall Street, les salaires ont progressé de 2,9% sur 12 mois, affichant la poussée la plus rapide depuis la récession de 2008-2009. Pour les boursicote­urs, une telle augmentati­on est le signe précurseur d’une accélérati­on de l’inflation

et donc des taux d’intérêt, ouvrant la voie à une remontée potentiell­ement plus musclée et plus rapide que prévu des taux directeurs de la Réserve fédérale.

Saine correction

Éric Corbeil rappelle que l’histoire remontant au début des années 1990 montre que l’atteinte d’un sommet pour le taux à dix ans des bons du Trésor américain est généraleme­nt annonciatr­ice d’un choc. «Nous avons présenteme­nt atteint ce niveau critique, dit-il. Avec cet endettemen­t élevé, il faut de moins en moins de hausses des taux pour qu’il y ait impact.» L’économiste s’empresse toutefois d’ajouter que l’économie américaine dispose de la marge de manoeuvre nécessaire pour abtsorber cette hausse du loyer de l’argent. «Les données économique­s demeu-

rent bonnes et les profits des entreprise­s sont au rendez-vous. Nous ne sommes pas au début d’une correction majeure.»

Au-delà d’un douloureux ressenti à court terme, Jean Duguay parle également d’une saine correction en cours. «C’est normal, après toutes ces années de hausse. » Pour le premier vice-président, Gestionnai­re principal, chez Gestion de placements, il faut un déclencheu­r à une sévère contractio­n des cours, et la hausse du loyer de l’argent pourrait jouer ce rôle. Mais pour l’heure, les fondements économique­s demeurent sains, tant aux États-Unis qu’à l’échelle mondiale, et les taux d’intérêt directeurs ne font que retourner à l’équilibre.

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RICHARD DREW ASSOCIATED PRESS John Parisi et Michael Gagliano ont observé lundi la chute des indices boursiers à la Bourse de New York.

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