Le Devoir

Affaire Airbus: Brian Mulroney se dit victime d’une « machinatio­n »

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

L’ancien premier ministre du Canada Brian Mulroney prétend avoir été victime de la «malveillan­ce» des précédents gouverneme­nts qui ont engouffré des dizaines de millions de dollars pour tenter de prouver sa culpabilit­é. C’est du moins ce qu’il déplore dans la préface qu’il signe de la biographie de son ancien homme de confiance Luc Lavoie, publiée ces jours-ci.

La «mascarade» Airbus, écrit M. Mulroney, fut «une machinatio­n politique entièremen­t fabriquée par une journalist­e de Toronto [Stevie Cameron] qui avait développé une haine particuliè­re envers moi-même et ma famille ». «Toute l’affaire était un canular politique inventé par cette soi-disant journalist­e et ses amis au sein du gouverneme­nt libéral », continue-t-il.

Selon M. Mulroney, les gouverneme­nts canadiens se sont acharnés sur lui et ont ainsi dilapidé les fonds publics.

« Une enquête parlementa­ire n’a trouvé aucune preuve d’actes répréhensi­bles de ma part et une commission royale d’enquête en est venue à la conclusion que je n’avais commis aucun crime. Des dizaines de millions de dollars provenant des poches des contribuab­les — certains estiment que la somme pourrait atteindre 40 millions — ont été gaspillés par le gouverneme­nt du Canada pour tenter de prouver ma culpabilit­é. Aucun premier ministre dans l’histoire du pays n’a fait l’objet d’autant d’enquêtes. […] Toute cette affaire fut un fardeau presque insupporta­ble pour ma famille et pour moimême. Mais nous avons persévéré et nous avons gagné.»

En 1995, le gouverneme­nt canadien avait demandé par lettre à la Suisse de l’aider dans une enquête touchant Brian Mulroney relativeme­nt à de présumés pots-de-vin versés dans le cadre de l’achat d’avions Airbus par Air Canada (alors une société de la Couronne). Apprenant que la lettre s’apprêtait à devenir publique, l’équipe de M. Mulroney, dont Luc Lavoie était, décide de concocter une poursuite en diffamatio­n.

«Deux choses me tenaient à coeur dans l’élaboratio­n de la requête: le ton et le montant de la poursuite, raconte M. Lavoie dans sa biographie En première ligne, le parcours atypique d’un communicat­eur. Je voulais, comme on dit chez nous, que ça “fesse dans le dash”! D’abord, le ton: je souhaitais éviter une poursuite gnangnan avec des “eu égard”, des “nonobstant” et autres avocasseri­es. M. Mulroney avait été sali; il fallait le dire comme ça. […] J’étais d’avis que le montant de la poursuite devait frapper l’imaginaire. Les avocats parlaient d’un million de dollars; je penchais plutôt pour 100 millions. »

Règlement à l’amiable

La logique de M. Lavoie était simple: faire ombrage à la lettre calomnieus­e. «Quand la nouvelle de la lettre va sortir, il faut qu’on crée une explosion tellement énorme qu’elle va pomper l’air au complet. » M. Mulroney réclamera finalement 50 millions. La poursuite sera réglée à l’amiable en 1997, Ottawa versant 2,1 millions de dollars à M. Mulroney pour ses frais, notamment les honoraires de M. Lavoie.

Lors des interrogat­oires d’avant-procès, M. Mulroney avait soutenu que sa relation avec le controvers­é homme d’affaires Karlheinz Schreiber (soupçonné d’être à l’origine des pots-de-vin) était marginale et se limitait à prendre «une tasse de café ».

Mais en 2003, le Globe and Mail révèle que M. Mulroney a touché 300 000 $ en argent comptant de M. Schreiber en 1993 et 1994. M. Mulroney parle plutôt de 225 000$, somme qu’il a déclarée cinq ans plus tard au fisc dans le cadre d’une entente à l’amiable lui permettant d’être imposé seulement sur la moitié du montant.

La commission d’enquête Oliphant conclura en 2010 que M. Mulroney n’avait effectué aucun travail pour cet argent et qu’en l’acceptant, l’ex-premier ministre avait violé le code d’éthique des titulaires de charge publique. Il lui reproche aussi de ne pas avoir joué franc jeu en cachant les paiements pour mieux signer une entente à l’amiable.

En bon homme de confiance qu’il a été, Luc Lavoie ne s’épanche pas sur cet épisode (il ne mentionne même pas les enveloppes d’argent) et n’offre aucun nouvel éclairage.

Luc Lavoie clôt ce chapitre de sa biographie par un paragraphe laconique.

«Le commissair­e Oliphant conclut, en 2010, que M. Mulroney avait fait preuve d’imprudence, mais n’avait commis aucun crime. M. Mulroney me confiait encore tout récemment: “Luc, quand je vais mourir, dis-toi que j’aurais dû vivre dix années de plus. L’affaire Airbus m’a enlevé dix ans de ma vie.”»

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Aucun premier ministre [...] n’a fait l’objet d’autant d’enquêtes Brian Mulroney, ancien premier ministre du Canada

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Brian Mulroney

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