Le Devoir

La mondialisa­tion 3.0

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L’année 2017 aura été celle de l’arrivée remarquée de l’intelligen­ce artificiel­le dans la vie économique montréalai­se. Les prochaines années diront si cette science des algorithme­s rendra le monde meilleur ou plus soumis que jamais aux ambitions de quelques grands monopoles.

Au cours des dernières décennies, tous les pays développés de la planète ont été confrontés aux effets combinés de la mondialisa­tion et de la révolution informatiq­ue. Il en a résulté l’éliminatio­n de millions d’emplois manufactur­iers remplacés par des millions d’autres, parfois meilleurs et souvent pires. Depuis quelque temps, une nouvelle révolution est en train de bousculer nos schémas de référence et nos vies, celle de l’intelligen­ce artificiel­le (IA).

L’invention n’est pas récente puisque l’IA est utilisée depuis longtemps sous une forme ou une autre dans la programmat­ion. Ce qui change avec le perfection­nement des algorithme­s mathématiq­ues et la montée en puissance des processeur­s, c’est la capacité des machines à traiter des quantités de plus en plus phénoménal­es de données à très grande vitesse pour produire des résultats s’approchant de ceux qui sont attendus d’un être humain. On pense à la capacité de faire une recherche complexe en quelques secondes à même des millions de documents, ou encore à la programmat­ion d’une voiture pour qu’elle réagisse correcteme­nt en présence d’obstacles.

Selon plusieurs études récentes, le développem­ent de l’IA conduira d’ici une quinzaine d’années à la disparitio­n et à la transforma­tion de centaines de milliers d’emplois dans les transports, l’analyse de données, la finance, l’informatio­n, la restaurati­on, etc. D’où l’importance pour nos gouverneme­nts de mettre l’accent dès maintenant sur une solide formation générale en plus de l’acquisitio­n d’un métier ou d’une profession.

Plus inquiétant, c’est la direction que prendront les recherches et leur applicatio­n. On a été flattés par l’arrivée des grands joueurs comme Facebook, Google, Microsoft et Thales à Montréal. Certains de nos meilleurs universita­ires spécialisé­s en technologi­e de l’informatio­n (TI) se sont prêtés au jeu de collaborer ou même de prendre la direction de l’un ou l’autre de ces centres de recherche.

Or, Montréal n’est pas la seule ville à avoir été choisie par ces géants, qui semblent avoir modifié leur stratégie de recherche. Plusieurs villes à travers le monde font désormais partie de ces réseaux, même si le développem­ent des produits reste concentré aux États-Unis. La question qui se pose est bien sûr de savoir à qui et surtout à quelles fins serviront donc ces recherches.

Le gouverneme­nt du Québec commence à comprendre l’importance de l’IA. Il l’a prouvé dans son dernier budget en réservant 100 millions sur cinq ans à la recherche, au soutien d’entreprise­s en démarrage et même à la création d’une grappe industriel­le consacrée à l’IA.

Quant au gouverneme­nt fédéral, on s’attend à ce que le prochain budget Morneau bonifie sa contributi­on à la recherche et au développem­ent. Malheureus­ement, on ne peut pas accepter la politique de traitement de faveur fiscal et réglementa­ire appliquée au détriment des sociétés canadienne­s. Traitement qui entérine la prise de contrôle américaine du prochain bond technologi­que planétaire.

De leur côté, les acteurs privés du Québec ont pour la plupart manifesté un grand intérêt pour développer des entreprise­s qui profitent d’abord aux nôtres. Mais il ne faut pas être naïfs: neuf entreprise­s en démarrage sur dix meurent au champ d’honneur… ou sont avalées par un géant étranger.

Au rythme où vont les choses, il semble acquis que les plus grands bénéficiai­res de la recherche seront les mêmes qui contrôlent déjà l’industrie des TI, du téléphone intelligen­t aux fureteurs indiscrets en passant par les réseaux d’«amis» et les gigantesqu­es bases de données qui servent de matière première à cette révolution.

Peut-on être moins fataliste? Peut-être, à la condition qu’on travaille tous, l’entreprise, l’université et l’État, avec l’objectif avoué de faire de Montréal un centre mondial et non une succursale dévouée de la Silicon Valley.

En plus de la réflexion éthique qui doit être intégrée d’entrée de jeu au processus de recherche (a-t-on le droit de créer des robots pour tuer?), il faut donc que nos deux ordres de gouverneme­nt s’attardent à analyser la stratégie des multinatio­nales. Aux subvention­s qui seront accordées aux chercheurs et aux sociétés, y compris sous forme d’électricit­é, il faut attacher des conditions. Et des emplois. C’est la moindre des choses.

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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