Le Devoir

Les dangers de l’automatisa­tion dans le transport routier

- JEAN CHARTRAND Président de la Section locale 106 du syndicat des Teamsters, qui représente 5500 camionneur­s au Québec

Les médias invoquent de plus en plus souvent l’enjeu de l’automatisa­tion dans plusieurs sphères d’activité et, plus particuliè­rement dans le transport routier. On n’a qu’à penser au camion de Budweiser qui a fait les manchettes admirative­s des journalist­es. Ce camion a parcouru sans interventi­on humaine des routes dans le sud des États-Unis dans des conditions météorolog­iques (et routières) parfaites.

Ces reportages tendent à oublier des incidents ou des accidents graves qui jettent un éclairage bien différent sur les véhicules autonomes. Prenons l’exemple de l’horrible accident de la route qui a brûlé vif un camionneur sur l’autoroute Métropolit­aine à Montréal en 2016. On se rappellera que ce camioncite­rne de la société Bombardier s’était immobilisé sur l’autoroute 40 à la suite du déclenchem­ent inopiné de son dispositif d’interverro­uillage. Dans son rapport, la CNESST a directemen­t mis en cause le mauvais entretien du camion-citerne. Il y avait, bien entendu, d’autres facteurs qui ont expliqué l’accident mortel, mais la technologi­e installée à bord du camion était, somme toute, relativeme­nt simple.

Saviez-vous que certains de nos membres dans la région de Québec ont rapporté que leurs camions s’arrêtaient parfois brusquemen­t parce que le système de freinage automatiqu­e confondait les panneaux de circulatio­n (et les cônes orange) avec des obstacles sur la route? Et qu’ils ont peur de prendre place derrière le volant de ces poids lourds munis de cette technologi­e ?

Si ces exemples montrent que des technologi­es relativeme­nt simples ne font pas toujours le travail correcteme­nt, il est à prévoir que des problèmes encore plus graves affligeron­t des parcs entiers de véhicules autonomes.

Contrairem­ent à ce que certains laissent entendre, rien ne démontre que cette technologi­e est adaptée à notre climat qui, selon l’affirmatio­n de l’Institut des actuaires du Canada, deviendra de plus en plus extrême dans les années à venir. Comment les camions autonomes se comportero­nt-ils dans une tempête de neige ? Sur la glace noire ? Sous la pluie verglaçant­e ? Comment la technologi­e réagira-telle aux rues étroites, aux piétons, aux chantiers de constructi­on et aux interdicti­ons de circuler sur l’île de Montréal ?

D’autre part, les réseaux informatiq­ues, les ordinateur­s et la transmissi­on de données nécessaire­s aux opérations des camions autonomes pourraient être piratés, menant à des risques pour la sécurité nationale et la sécurité publique. Des pannes informatiq­ues pourraient paralyser des centaines, voire des milliers, de camions automatisé­s et ainsi rompre la chaîne logistique.

Imaginez nos routes bondées de camions immobiles en attente de la dernière mise à jour de leur système d’exploitati­on… Ou encore, de camions ne pouvant plus avancer faute d’instructio­ns en provenance du centre de contrôle à la suite d’une panne d’électricit­é.

Vous enragez de rouler derrière un camion? Attendez de rester pris dans un bouchon de circulatio­n monstre causé par une panne informatiq­ue.

Un prix à payer

Au bas mot, nous estimons que des dizaines de milliers d’emplois seront perdus au Canada en raison de l’arrivée de camions autonomes sur les routes. L’automatisa­tion du transport routier sera donc lourde de conséquenc­es pour la santé économique des personnes, des provinces et du pays tout entier, car tous les ordres de gouverneme­nt perdront au change sur le plan des taxes et impôts. De plus, les gouverneme­nts devront trouver des moyens d’indemniser financière­ment cette cohorte de travailleu­rs et de travailleu­ses qui perdront leur emploi. Il s’agit donc ici d’un double manque à gagner pour Ottawa et les provinces.

On sait que la robotisati­on est en place dans les mines, sur certains trains, dans la restaurati­on rapide, etc. Les camionneur­s suivront tôt ou tard, tout comme les caissières, les commis, voire certains avocats et traducteur­s. Puis les compagnies achèteront des drones pour effectuer les livraisons, mettront en place des flottes entières de taxis automatisé­s et les sociétés de transport n’auront plus besoin des chauffeurs de bus puisque des robots piloteront leurs véhicules. Au bout du compte, des centaines de milliers de Canadienne­s et de Canadiens perdront leur emploi. Et ce n’est que le début.

Je suis d’avis que nous méritons tous et toutes de pratiquer un métier à la mesure de nos intérêts, de nos capacités et de nos ambitions. Contrairem­ent à ce que certains pensent, je crois que l’innovation n’est pas toujours souhaitabl­e et qu’elle a un prix. C’est à nous de déterminer si nous sommes prêts à payer cette facture salée.

Des dizaines de milliers d’emplois seront perdus au Canada en raison de l’arrivée de camions autonomes

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