Le Devoir

Les risques des réseaux sociaux

- PIERRE TRUDEL

Les réseaux sociaux procurent à chacun une capacité de se faire entendre. La semaine dernière, l’infirmière Émilie Ricard consignait sur sa page Facebook un cri du coeur sur la détresse qu’imposent aux infirmière­s les dérives gestionnai­res dans les établissem­ents de santé. Ce fut l’amorce d’un débat public éclairant. Mais on a également vu que les espaces virtuels peuvent aussi être le défouloir pour des propos moins nobles. Pensons à ces commentair­es en forme d’appel au lynchage qu’on a pu lire sur les réseaux sociaux à la suite de l’incident survenu au palais de justice de Maniwaki.

Des faits et gestes des personnali­tés publiques jusqu’aux disputes avec notre entourage, tous les événements de la vie ont désormais vocation à être discutés sur le Web. Nous vivons dans un monde où l’espace public est en ligne, accessible en quelques clics sur nos téléphones ou nos tablettes. Tout le monde est doté de capacités de communique­r avec ses proches, mais aussi avec le reste de la planète connectée. Ce monde en réseau comporte plusieurs espaces qui sont publics à des niveaux différents. Une informatio­n partagée avec des «amis» dans un réseau social revêt un caractère public, à tout le moins pour ceux qui font partie du groupe. Un propos diffusé sans restrictio­n a le potentiel d’atteindre la multitude.

Les réseaux sociaux changent les conditions du débat public: les gens de pouvoir ne sont plus seuls à parler. Il existe désormais un espace public où il est possible de dénoncer les situations que les dirigeants peuvent avoir intérêt à occulter.

Les risques

Mais la prise de parole n’est pas sans risque. Exposer une situation que l’on trouve inique peut nous valoir des sanctions de la part de nos clients ou de notre employeur. Publier une image peut nous faire mal paraître auprès de certains. Si la plupart des messages diffusés en ligne demeurent dans les limites du raisonnabl­e, il en est qui vont plus loin, trop loin. Sur un réseau social, il est facile de lancer des menaces, des injures, de révéler des images ou d’autres informatio­ns qui auraient dû demeurer privées.

Dans les réseaux sociaux ou ailleurs, prendre publiqueme­nt position nécessite de connaître et d’assumer les risques inhérents. Tenir un propos en public peut engendrer des conséquenc­es avec lesquelles il faudra vivre. Dénoncer l’inacceptab­le demeure hélas encore risqué. Dans certains milieux de travail, briser l’omertà peut engendrer de lourdes représaill­es. D’où le besoin de protéger ceux qui osent parler.

Par contre, lancer des menaces ou promouvoir la haine en ligne peut nous valoir une condamnati­on criminelle. Diffuser des mots, des images ou des sons emporte des risques. Le même propos échangé entre trois amis autour d’une table en dehors de tout objet connecté n’a pas les mêmes conséquenc­es s’il est diffusé sur Facebook. C’est dire l’importance d’être conscient des lois qui régissent les propos diffusés en public. Des lois criminalis­ent les menaces ou le fait de conseiller de commettre un acte criminel.

Des règles régissant les rapports avec nos semblables, notamment consignées dans le Code civil, interdisen­t de publier des propos ou des images qui portent atteinte à la réputation des individus. Révéler les secrets de la vie privée de son voisin, d’une collègue de travail, d’un de ses proches constitue une faute civile pouvant nous valoir une condamnati­on à indemniser la victime. De même, publier l’image d’une personne sans son accord est a priori fautif, sauf si un motif d’intérêt public le justifie.

Les conséquenc­es de la parole publique

Les lois doivent évidemment protéger cette faculté de prendre la parole qui n’est plus réservée à une poignée de privilégié­s. Mais il faut aussi apprendre à vivre avec les conséquenc­es de la prise de parole publique. Une fois qu’une informatio­n est dans l’espace public, elle entre dans l’histoire. Par exemple, publier une image dans les réseaux sociaux implique que l’on est conscient que les environnem­ents numériques confèrent une persistanc­e à l’informatio­n que nous avons diffusée.

On peut changer d’idée, mais on ne saurait forcer les autres à effacer les traces de nos prises de position antérieure­s. À moins de vouloir tomber dans la société totalitair­e décrite par Orwell dans son roman 1984, on ne peut s’attendre à ce qu’on efface l’histoire. Évidemment, on peut changer d’idée, trouver que cette photo qui date nous fait mal paraître; mais on ne peut forcer les autres à croire que notre ancien point de vue, notre ancienne vie ou notre « look » d’autrefois n’a jamais existé !

Tout un chacun dispose désormais de capacités de diffusion considérab­les dans les lieux publics désormais virtuels. Il importe de protéger effectivem­ent la liberté d’expression dans ces lieux virtuels. Mais chacun doit aussi apprendre à connaître et à maîtriser les risques inhérents à cette capacité accrue de parler et de montrer.

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