Le Devoir

Une sortie du marché unique créera inévitable­ment des barrières commercial­es

- ÉRIC DESROSIERS

La Commission européenne presse le gouverneme­nt britanniqu­e de «faire un choix» sur l’après-Brexit en le prévenant que des barrières commercial­es seront «inévitable­s» en dehors de l’union douanière et du marché unique qu’il dit vouloir quitter. Bruxelles cherche aussi le moyen d’empêcher le RoyaumeUni de profiter de son éventuelle liberté retrouvée pour livrer à l’Europe une concurrenc­e déloyale en matière de fiscalité et de réglementa­tion.

De passage lundi à Londres dans le cadre des négociatio­ns sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit), le négociateu­r en chef de l’UE, Michel Barnier, a pressé la première ministre britanniqu­e de préciser ses intentions le plus vite possible.

«Le temps est venu de faire un choix», a-t-il déclaré à la sortie d’une rencontre avec Theresa May. «La seule chose que je peux dire, c’est que, sans l’union douanière et hors du marché unique, les barrières au commerce des biens et services sont inévitable­s», a-t-il ajouté, alors qu’un débat sur ce thème divise le gouverneme­nt conser vateur.

Le ministre britanniqu­e responsabl­e du Brexit, David Davis, a réaffirmé que son pays entendait quitter «l’accord douanier» afin d’être libre de signer des accords commerciau­x avec le reste du monde, tout en souhaitant conserver la relation commercial­e «la plus fluide possible» avec l’UE.

Facture élevée

Ces mises au point intervienn­ent en pleine escalade de la tension entre pro et antiBrexit, y compris au sein du gouverneme­nt, à la suite d’informatio­ns voulant que certains ministres s’apprêterai­ent à maintenir le Royaume-Uni dans l’union douanière pour préserver les relations économique­s après la sortie de l’UE.

Une étude présentée au Conseil des ministres et ayant fait l’objet d’une fuite dans les médias, la semaine dernière, estime les coûts du divorce pour les Britanniqu­es à 2% de croissance économique de moins sur 15 ans si le pays parvenait à gagner en autonomie tout en demeurant dans le marché unique à la manière de la Norvège — une option rejetée par Mme May.

La facture grimperait à 8 % si aucune entente spéciale n’était conclue et que les relations entre le Royaume-Uni et l’Europe ne devaient relever que des règles de l’Organisati­on mondiale du commerce.

Les pro-Brexit sont persuadés qu’un accord commercial privilégié sera nécessaire­ment conclu avec son principal partenaire économique. Ils font aussi valoir que la sortie du Royaume-Uni de l’UE lui permettra de négocier ses propres accords de libre-échange avec d’autres pays. Mais selon l’étude, ces éventuelle­s ententes commercial­es seraient loin de suffire pour compenser l’impact de la sortie de l’Europe, un traité commercial avec les États-Unis ne rapportant, à terme, que l’équivalent de 0,2% de produit intérieur brut (PIB) supplément­aire, et des accords avec la Chine, l’Inde, l’Australie, les états du golfe Persique et les pays d’Asie-Pacifique n’ayant le potentiel de rapporter que de 0,1 % à 0,4 % de PIB au total.

Guerre fiscale et réglementa­ire

Les 27 autres pays de l’UE veulent, de leur côté, s’assurer que Londres ne cherchera pas, après le Brexit, à attirer les investisse­urs en réduisant le niveau de ses impôts et de sa réglementa­tion sous les normes européenne­s.

Dans un document de synthèse d’une quarantain­e de pages rendu public mercredi, la Commission européenne dit craindre que le Royaume-Uni ne baisse ses taxes seulement pour se donner un avantage compétitif et fait remarquer qu’il s’est déjà doté d’entités extraterri­toriales qui lui servent de paradis fiscaux.

Elle dit craindre aussi qu’on y profite du Brexit pour assouplir les règles en matière notamment d’aide publique aux entreprise­s, de protection de l’environnem­ent et de normes du travail avec le même objectif en tête.

Le Royaume-Uni est un partenaire économique trop gros et trop proche, dit-on, pour se contenter, en la matière, d’une simple entente de coopératio­n comme celles que l’Europe a conclues avec d’autres pays, notamment le Canada. Il faudrait, dit-on, «un pacte de nonagressi­on » dans lequel les Britanniqu­es s’engageraie­nt formelleme­nt à ne pas se lancer dans une concurrenc­e fiscale et réglementa­ire déloyale.

Le gouverneme­nt britanniqu­e a toutefois indiqué, rappelait The Financial Times, jeudi, que pour consentir à de telles contrainte­s «spéciales», il faudrait obtenir, en échange, un accès «spécial» au marché européen.

Après le Brexit, l’Europe aura peu de moyens pour empêcher son voisin de faire comme bon lui semble, ont admis des diplomates européens. Dans son document, elle évoque la possibilit­é de le placer sur sa «liste noire» des paradis fiscaux ou de recourir à des sanctions financière­s ou commercial­es contre ses entreprise­s.

En décembre, Londres et Bruxelles avaient conclu un accord préliminai­re sur leur divorce, et doivent désormais s’entendre sur la période de transition post-Brexit et la future relation qui unira les deux parties. La période de transition doit débuter au lendemain du Brexit, prévu le 29 mars 2019, et durer environ deux ans.

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DANIEL LEAL-OLIVAS AGENCE FRANCE-PRESSE Des opposants au Brexit arboraient les drapeaux européen et britanniqu­e à l’extérieur du parlement, lundi à Londres.

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