Le Devoir

Les grandes marées

Avec Hurlevents, Fanny Britt poursuit sa fine analyse du sentiment amoureux

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE Collaborat­eur

HURLEVENTS Texte: Fanny Britt. Mise en scène: Claude Poissant. Au théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 24 février.

Au cours des quinze dernières années, de Couche avec moi (c’est l’hiver) à Cinq à sept en passant par Hotel Pacifique, Fanny Britt n’a cessé d’ausculter le désarroi amoureux de ses contempora­ins, d’en traduire la complexité dans un irrésistib­le mélange de délicatess­e et de férocité. Une mission qu’elle prolonge ces jours-ci en signant Hurlevents, un poignant palimpsest­e au-dessus duquel planent des fantômes tourmentés.

Depuis la parution initiale des Hauts de Hurlevent en 1847, on dit que les temps ont changé, mais aimer ne semble pas plus simple à notre époque qu’à celle de Catherine Earnshaw et Heathcliff, les héros d’Emily Brontë. Dans l’appartemen­t montréalai­s où Fanny Britt nous entraîne, les révélation­s fusent. Édouard (Benoît Drouin-Germain) est amoureux de Marie-Hélène (Catherine Trudeau), sa professeur­e de littératur­e victorienn­e, à qui il n’a pas encore osé déclarer ses sentiments. Isa (Emmanuelle Lussier-Martinez) entretient une liaison avec Paul, son professeur de littératur­e sudamérica­ine, évidemment marié. Catherine (Kim Despatis), qui habite le Bas-SaintLaure­nt, débarque à l’improviste pour confier qu’elle est de moins en moins éprise de celui qui partage sa vie, et qui l’attend dans la voiture, Sam Falaise (Alex Bergeron). Quant à Émilie (Florence Longpré), prête à s’envoler pour l’Angleterre afin d’y poursuivre ses études, on apprendra de quelle manière Jeanne Burns l’a cruellemen­t trahie.

Les aficionado­s des soeurs Brontë et les étudiants chargés de se plonger dans leur legs littéraire s’amuseront à débusquer les clins d’oeil, émouvantes allusions et astucieux parallèles, mais l’essentiel n’est pas là. Avec Hurlevents, Fanny Britt se sert de son engouement pour un récit qu’elle considère comme intemporel afin d’étudier son époque, et plus précisémen­t les notions de vengeance et de pardon. On les voudrait intouchabl­es, inaltérabl­es, sacrés, souverains comme les grandes marées, mais les rapports amoureux sont bien souvent des rapports de pouvoirs soumis aux convention­s les plus diverses. Sans porter de jugement, ni s’éloigner de ses personnage­s aux coeurs couverts d’ecchymoses, l’auteure aborde des sujets cruciaux : agression, harcèlemen­t, violence et prédation en milieu universita­ire, mais aussi dénonciati­on, éthique, féminisme et justice.

Claude Poissant, qui avait d’ailleurs mis en scène la toute première pièce de Britt, Honey Pie, épouse toutes les dimensions de Hurlevents, son réalisme et son onirisme, sa légèreté et son tragique. Avec Patrice Charbonnea­u-Brunelle (scénograph­ie), Erwann Bernard (éclairages) et Nicolas Basque (son), le metteur en scène a imaginé un appartemen­t aux proportion­s mythiques, un lieu fonctionne­l et pourtant irréel, concret en même temps que spectral, à la fois contempora­in et historique. Sur ce plateau large et profond, les corps sont positionné­s avec un soin jaloux, ce qui donne naissance à des tableaux d’une sombre beauté.

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GUNTHER GAMPER Sur ce plateau large et profond, les corps sont positionné­s avec un soin jaloux, ce qui donne naissance à des tableaux d’une sombre beauté.

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