Le Devoir

Une critique à peine voilée de la réforme

Retour sur le livre du ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx

- RÉJEAN BERGERON Professeur de philosophi­e au cégep Gérald-Godin

Comme plusieurs, j’attendais le livre du ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, avec une brique et un fanal. Mais après une lecture attentive, je dois dire que j’ai été agréableme­nt surpris par certaines de ses prises de position.

Évidemment, je n’appuie pas les idées du ministre au sujet de l’école privée, de l’évaluation des enseignant­s et sur la création d’un ordre profession­nel. Mais je ne veux pas m’attarder à tout ceci; d’autres en ont fait la critique jusqu’à maintenant.

Ce que j’ai eu le plaisir de constater dans ce livre, c’est l’importance que le ministre accorde à la transmissi­on d’une culture générale qui s’appuie sur des connaissan­ces solides et approfondi­es pour la formation de l’élève, de l’étudiant, du futur citoyen; en somme, pour la formation d’un être humain éclairé et libre.

La culture générale, nous dit-il, est «essentiell­e pour rester connecté à l’humain», elle représente «cette clé qui nous donne accès au monde ». Loin d’être une chose inerte, la culture «est vivante et transforme profondéme­nt la personne qui la possède », en plus d’être « le seul contrepoid­s solide à l’intelligen­ce artificiel­le». Il va plus loin en affirmant que la formation générale est nécessaire si le système d’éducation se donne comme objectif de former non pas de simples « compétents », mais bien des « savants compétents » qui sauront voir plus loin que leurs champs de spécialisa­tion.

Bien qu’il en appelle à la fin de cette opposition stérile entre connaissan­ces et compétence­s, rapidement il précise que, pour mettre en oeuvre ces dernières, l’élève doit, a priori, avoir des connaissan­ces, que celles-ci sont essentiell­es pour mobiliser ces fameuses compétence­s, d’où la nécessité d’une revalorisa­tion de la culture générale.

Manque de rigueur

En fait, en insistant ainsi sur l’importance de transmettr­e des connaissan­ces rigoureuse­s aux élèves tout en leur donnant une formation générale solide, le ministre en profite par la même occasion pour distribuer quelques taloches à son ministère, qui selon lui souffre depuis quelques années d’un déficit de crédibilit­é. Bien que d’une façon voilée, il suggère que la réforme de l’éducation entreprise dans les années 2000 est allée trop loin, qu’il faudra mettre un terme aux «effets collatérau­x» qu’elle a engendrés et qu’il serait grand temps de revenir à l’essentiel, c’est-à-dire aux fondamenta­ux : lire, écrire, connaître.

Voyez ce qu’il affirme: «À l’aube des années 2000, le système scolaire a connu un changement de cap avec la réforme du programme d’éducation. Cette réforme, en centrant ses approches pédagogiqu­es sur l’élève et sur son rôle actif dans la constructi­on des connaissan­ces, a marqué une évolution dans la conception de l’éducation. Les limites de cette approche ont toutefois été soulignées par plusieurs qui ont en même temps appelé à une réhabilita­tion du rôle central de l’enseignant dans les apprentiss­ages.» Il faut comprendre, et je m’en réjouis, que le ministre fait partie de ces derniers, de ceux qui pensent qu’il est temps de revenir au paradigme de l’enseigneme­nt axé sur la transmissi­on structurée et explicite de connaissan­ces solides.

«Je fais le pari que, si l’on renverse notre conception actuelle et qu’on valorise une formation générale commune forte, nous aurons des concitoyen­s plus instruits», affirme le ministre. Il faut, ici, le prendre au pied de la lettre. Il parle bien de «renverser» la conception actuelle de l’éducation, celle introduite par la réforme. Ailleurs et à plus d’une reprise, il écrit qu’il «faudra inévitable­ment s’engager dans une démarche de révision du régime pédagogiqu­e, notamment pour y revoir les contenus », et ce, en mettant l’accent sur la culture générale.

Un peu à la manière du ministre français de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qu’il dit d’ailleurs avoir rencontré, Sébastien Proulx propose dans ce livre un système d’éducation centré sur la transmissi­on d’une culture générale et fondamenta­le qui fait appel à l’enseigneme­nt explicite de discipline­s comme l’histoire et la littératur­e et qui s’appuie sur l’acquisitio­n des fondamenta­ux incontourn­ables que représente le fait de savoir bien lire et bien écrire. […]

Mais qu’adviendra-t-il de toutes ces belles intentions? Probableme­nt pas grand-chose. Étant donné que le gouverneme­nt libéral a toutes les chances d’être défait aux prochaines élections, le livre du ministre Sébastien Proulx prendra alors rapidement les allures d’un simple testament politique. Ainsi, les fonctionna­ires du ministère de l’Éducation pourront continuer de faire rouler la machine à leur manière, comme ils l’ont pas mal toujours fait dans le passé, et ce, peu importe les «effets collatérau­x» que leurs lubies pédagogiqu­es peuvent engendrer dans la tête des jeunes génération­s.

Il reste à espérer que les partis de l’opposition reprendron­t à leur compte cette conception humaniste que le ministre tente de ramener au-devant de la scène, bien que d’une manière prudente et encore trop timide. Voilà un enjeu sur lequel ils devront se prononcer aux prochaines élections.

 ?? JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE ?? Le ministre a fait paraître ces derniers jours son essai Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire.
JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Le ministre a fait paraître ces derniers jours son essai Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire.

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