Le Devoir

Hausse des étudiants souffrant d’une déficience

Le nombre d’étudiants souffrant de déficience bondit dans les établissem­ents post-secondaire­s

- MARCO FOR TIER

Sandra

Doyon avait des dif ficultés à lire et à se concentrer. Elle a manqué de temps pour réussir un examen de mathématiq­ues. Pas évident pour une étudiante à l’université. Le verdict d’une neuropsych­ologue est tombé récemment: trouble de déficit d’attention

« Je suis maintenant considérée comme une étudiante en situation de handicap. Je n’ai jamais été aussi contente d’être handicapée! », dit la mère de famille de 43 ans, qui fait un retour aux études en communicat­ion et marketing à l’UQAM.

Depuis que j’ai eu mon diagnostic, j’ai de l’aide pour avoir une meilleure cohérence dans mes études. C’est fatigant, être TDAH. Je me réveille la nuit parce que j’ai trop d’idées. Quand je fais une recherche, j’ai trop de matériel. Et je me laisse distraire par mes enfants », ajoute-t-elle.

Sandra Doyon n’est pas la seule dans sa situation. La vague des élèves ayant des difficulté­s d’apprentiss­age atteint les cégeps et les université­s. Le nombre d’étudiants « en situation de handicap », notamment à cause d’un déficit d’attention, a décuplé en enseigneme­nt supérieur depuis une douzaine d’années.

Au niveau collégial, un étudiant sur dix a besoin de services spéciaux et d’accommodem­ents pour l’aider à réussir ses études. À l’université, cette proportion atteint 6,3 % des étudiants — dans les deux cas, c’est 10 fois plus qu’il y a une décennie.

Le Québec a fait un choix de société : ouvrir la por te aux études supérieure­s à des élèves qui auraient autrefois été susceptibl­es d’abandonner en cours de route, faute de soutien. Le gouverneme­nt investit plus de 2 milliards de dollars par année pour accompagne­r les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentiss­age (EHDAA) au primaire et au secondaire.

À la fin du secondaire, près d’un élève sur quatre (23,3%) a un trouble d’apprentiss­age, selon le ministère de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur.

Cette cohorte se retrouve désormais sur les bancs des cégeps et des université­s, mais les budgets de soutien aux étudiants n’augmentent pas au même r ythme qu’au primaire et au secondaire. La Fédération des cégeps estime avoir besoin de 50 millions de plus par année pour soutenir les étudiants en difficulté.

« On a accompagné ces jeunes- là jusqu’au cégep, on ne peut pas les abandonner », dit Bernard Tremblay, président et directeur général de la Fédération des cégeps.

« Le cégep, c’est un droit. À partir du moment où on offre un service public à la population, on a l’obligation de l’offrir à toute la population, avec les ser vices de soutien appropriés », ajoute le représenta­nt des 48 cégeps du Québec.

Il rappelle que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a émis dès 2012 un avis contre la discrimina­tion envers les étudiants handicapés de niveau collégial — en plus d’avoir fait de nouvelles recommanda­tions en 2015.

Handicapée et heureuse

Les université­s ont aussi adopté des politiques d’aide aux étudiants ayant des besoins par ticuliers. Sandra Doyon fait partie des 14 652 étudiants universita­ires qui se trouvent en « situation de handicap » . Elle s’est débrouillé­e toute sa vie malgré son déficit d’attention. Elle est créative, elle a du leadership et une grande capacité de synthèse.

Depuis son diagnostic, Sandra Doyon a de l’aide du Service d’accueil et de soutien aux étudiants en situation de handicap de l’UQAM. Elle a plus de temps pour faire ses examens. Elle peut les faire dans une salle à par t. Elle a le droit d’écouter de la musique pendant ses examens. Elle peut les faire sur ordinateur plutôt que sur papier — pour éviter de remplir les pages de ratures. Elle prend aussi du Ritalin pour améliorer sa concentrat­ion.

« Les étudiants n’ont pas à dévoiler qu’ils sont en situation de handicap [ à l’université], mais c’est rendu dans la culture d’en parler. Il y a beaucoup moins de gêne qu’autrefois » , dit France Landry, professeur­e associée au Départemen­t de psychologi­e de l’UQAM. Cette spécialist­e des situations de handicap aux études postsecond­aires aide les étudiants comme Sandra Doyon qui ont un diagnostic de TDAH.

Elle offre des rencontres de deux heures, étalées sur six semaines, pour aider les étudiants à gérer leur temps. D’autres trucs sont possibles, comme le recours à un logiciel qui enregistre les cours, pour éviter aux étudiants d’être distraits par la prise de notes.

Agir plus tôt

La hausse du nombre d’élèves en situation de handicap alourdit la tâche des professeur­s de cégep, nuance Nicole Lefebvre, vice-présidente de la Fédération nationale des enseignant­es et enseignant­s du Québec (FNEEQ), affiliée à la CSN.

« Il faut offrir plus d’encadremen­t à ces étudiants, mais on n’est pas des spécialist­es en psychoéduc­ation, dit- elle. On reçoit une liste d’accommodem­ents lors de chaque session. Par exemple, on a parfois la directive de ne pas s’adresser en classe aux étudiants anxieux pour éviter de provoquer une crise, mais il faut s’adresser directemen­t aux étudiants qui ont un déficit d’attention. »

Tous ces accommodem­ents sont fort utiles, mais restent insuffisan­ts pour vraiment aider les étudiants du collégial ayant des besoins particulie­rs, estime Égide Royer, professeur associé à la Faculté des sciences de l’Éducation de l’Université Laval.

Il insiste sur l’importance d’investir encore plus dans le soutien aux élèves en dif ficulté du primaire et du secondaire : « Il est plus facile de construire des adolescent­s forts que de réparer de jeunes adultes brisés. »

Il propose que le financemen­t des services aux élèves EHDAA se fasse sur un modèle commun au primaire, au secondaire et au collégial. Il y a une rupture de ser vice au collégial, parce que les étudiants n’ont pas à révéler leur diagnostic de trouble d’apprentiss­age, rappelle le spécialist­e.

 ?? CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR ?? Sandra Doyon a eu un diagnostic de TDAH après son retour aux études en communicat­ion à l’UQAM. « J’ai de l’aide pour avoir une meilleure cohérence dans mes études. »
CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR Sandra Doyon a eu un diagnostic de TDAH après son retour aux études en communicat­ion à l’UQAM. « J’ai de l’aide pour avoir une meilleure cohérence dans mes études. »

Newspapers in French

Newspapers from Canada