Le Devoir

Moment de détente entre les deux Corées

Les États-Unis accueillen­t favorablem­ent l’ouverture d’un dialogue

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Il y a de la détente postolympi­que dans l’air. La Corée du Nord est prête à engager des négociatio­ns avec les États-Unis pour abandonner son programme nucléaire, selon les informatio­ns transmises par des porte-parole de la Corée du Sud après une rencontre au sommet dans la péninsule.

« La Corée du Nord a clairement établi sa volonté de dénucléari­ser », dit une déclaratio­n officielle du président sud-coréen, Moon Jae-in, dif fusée après la rencontre avec son homologue de Corée du Nord, Kim Jong-un, à Pyongyang, lundi et mardi. « Il a été clair qu’il n’y aurait aucune raison de conserver des armes nucléaires si la menace militaire pesant sur le Nord est éliminée et sa sécurité garantie. »

Les deux pays ont aussi promis de tenir une nouvelle rencontre de leurs chefs d’État à la fin du mois d’avril, dans la zone démilitari­sée qui les sépare. Il s’agira du premier sommet du genre depuis la détente des années 2000-2007.

Pyongyang, toujours selon la présidence sudcoréeen­ne, suspendra ses essais nucléaires et de missiles pendant cette soudaine période de rapprochem­ent. Le Nord souhaitera­it aussi « normaliser ses relations avec les États-Unis », toujours selon le communiqué du Sud.

Le président américain a réagi avec prudence mais optimisme aux annonces, la Corée du Nord ayant à plusieurs reprises rompu ses promesses. Tout en saluant l’initiative, il a parlé d’un « progrès possible » et d’un « sérieux effort », mais aussi d’un possible « faux espoir ».

Le programme nucléaire de la Corée du Nord empoisonne les relations internatio­nales depuis des années. Les deux pays divisés depuis plus de sept décennies ont décidé de la soudaine détente et de l’ouverture possible de négociatio­ns dans la foulée d’une visite d’une délégation de la Corée du Sud à Pyongyang, capitale du Nord. Les deux ennemis fraternels ont aussi l’intention d’ouvrir une ligne de communicat­ion d’urgence entre les deux chefs d’État.

La paix olympique

Les Jeux olympiques semblent avoir servi de moment déclencheu­r. Le Nord a envoyé au Sud des délégation­s, y compris Kim Yo-jong, soeur du leader Kim Jong-un. C’est elle qui a transmis

au président Moon Jae- in, de la part de son frère, une invitation au dîner de travail auquel ont participé cette semaine les émissaires sudcoréens. Elle était présente à la réception de rapprochem­ent qui a duré quatre heures, lundi. La femme de M. Kim, Ri Sol-ju, a aussi alors fait une rare apparition à un événement officiel.

Les athlètes des deux pays ont défilé sous un seul drapeau et compétitio­nné ensemble au hockey féminin. Les JO ont aussi servi de parfaite excuse pour reporter les grandes manoeuvres militaires américano-sud-coréennes initialeme­nt prévues en février. Le problème de la tenue des exercices se pose toujours.

Cela dit, les positions restaient fermes et antinomiqu­es. Enfin, jusqu’ici. Les États-Unis veulent dénucléari­ser la péninsule. La Corée du Nord veut au contraire garder son arsenal nucléaire, jugé garant de son indépendan­ce et de la sur vie du régime communiste héréditair­e. Le Sud semble maintenant reprendre l’initiative de la détente intercorée­nne.

Ce développem­ent a surpris les analystes. Les menaces et bravades fréquentes en provenance de la République populaire démocratiq­ue de Corée suivies de rebuffades, d’aver tissements et de sanctions de plus en plus musclées des États-Unis caractéris­ent ces relations internatio­nales depuis longtemps. Washington demande la fin du programme nucléaire de la Corée du Nord, l’arrêt des essais et la destructio­n des missiles porteurs comme des charges atomiques existantes.

« Ce sera difficile pour le gouverneme­nt des États-Unis de résister » aux concession­s de la Corée du Nord, a commenté Cheng Xiaohe, de l’Université Renmin à Pékin, dans un entretien au New York Times.

Le chroniqueu­r spécialist­e des États- Unis du journal britanniqu­e The Independan­t, habituelle­ment critique du gouverneme­nt Trump, jugeait mardi qu’on n’en serait pas là sans les pressions extrêmes appliquées au cours des derniers mois par le nouveau gouverneme­nt américain. Il ajoutait, peut- être avec ironie, que si le président Trump réussit à apaiser ce dossier, voire à dénucléari­ser la Corée du Nord, il mérite le prix Nobel de la paix, récompense accordée à son prédécesse­ur sans réelle justificat­ion.

Rayon de soleil

Le rapprochem­ent précédent, au début du siècle, avait permis au président sud- coréen Kim Dae-jung d’obtenir le prix Nobel de la paix, en 2000. Cette politique étrangère dite du « rayon de soleil » a tenu de 1998 à 2008. Elle visait à adoucir les rappor ts avec le voisin du Nord en s’inspirant de l’Ostpolitik du chancelier allemand Willy Brandt.

Un sommet avait réuni les deux Kim, celui du Sud et Kim Jong-il, père de l’actuel maître de Pyongyang, dans sa capitale stalinienn­e, en juin 2000. Il s’agissait de la première rencontre depuis la partition de la péninsule en 1945. Une déclaratio­n signée le 15 juin engageait les deux pays, toujours techniquem­ent en conflit depuis la guerre de 1950- 1953, à « progresser sur le chemin de la paix et de la réunificat­ion ».

Ce jour-là, les Coréens du Nord avaient débranché les haut-parleurs de la frontière qui déversaien­t depuis des décennies, sans interrupti­on, des insultes et de la propagande en direction du Sud. Les membres de familles divisées par la partition ont ensuite pu se réunir.

Un autre président du Sud, Roh Moo-hyun, a été reçu par Kim Jong-il du 2 au 4 octobre 2007. La Corée du Nord avait alors réalisé un premier essai nucléaire. Le pays totalitair­e a ensuite promis d’abandonner ses recherches et ses développem­ents nucléaires en échange d’aide énergétiqu­e et d’autres concession­s.

Les relations se sont envenimées avec l’élection du président conser vateur Lee Myungbak, partisan d’une ligne plus dure face au voisin menaçant. Pyongyang a rompu le dialogue en 2008 et engagé les rapports internatio­naux dans une zone enténébrée qui semble se relâcher une décennie plus tard avec une potentiell­e nouvelle éclaircie ensoleillé­e.

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ED JONES AGENCE FRANCE- PRESSE Le ton de Kim Jong-un s’est soudaineme­nt adouci et la Corée du Nord accepterai­t maintenant de discuter de dénucléari­sation.

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