Le Devoir

L’injustice fiscale a le visage d’une femme

- MAGDALENA SEPÚLVEDA Membre de la Commission indépendan­te sur la réforme de l’impôt internatio­nal des sociétés (ICRICT). L’auteure a été rapporteus­e spéciale des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme. rable,

Les organisati­ons de femmes des pays en voie de développem­ent peuvent être fières d’elles-mêmes: grâce à leurs luttes, les cadres juridiques ont été modifiés afin de promouvoir l’égalité des sexes. Aujourd’hui, de plus en plus de femmes parviennen­t à gagner un revenu par elles- mêmes, leur participat­ion au marché du travail s’est accrue et les écarts dans la qualité de l’emploi entre les femmes et les hommes se sont réduits.

Il reste cependant beaucoup à faire. À conditions de travail égales, les femmes gagnent nettement moins que les hommes. Elles continuent de se concentrer dans des emplois informels et sans conditions de travail décentes. Plus de 75% des femmes d’Afrique et d’Asie travaillen­t dans le secteur informel sans la moindre protection sociale, selon l’ONU Femmes, l’agence dédiée aux femmes des Nations unies.

En outre, elles assument toujours une part disproport­ionnée des tâches domestique­s, un travail non rémunéré. S’occuper des enfants et des personnes âgées, faire le ménage et la cuisine restent des « missions de femmes », ce qui limite leurs possibilit­és d’éducation, de formation ou d’emploi et rend impossible l’autonomisa­tion économique.

Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. L’engagement renouvelé en faveur de l’égalité des sexes et des droits de l’homme, à travers l’Agenda 2030 pour le développem­ent du

est mis en échec par une situation économique moins favorable. Les gouverneme­nts mettent en oeuvre des politiques d’austérité aux conséquenc­es dévastatri­ces pour les population­s non protégées. Dans le même temps, l’opinion publique constate que de nombreuses multinatio­nales ne paient qu’une fraction de leurs impôts, comme l’a révélé une nouvelle fois le scandale des Paradise Papers.

Légalité des abus fiscaux

Le plus choquant, pour les citoyens, est de comprendre que ces abus fiscaux sont légaux. Les règles actuelles permettent aux entreprise­s, au lieu de déclarer leurs profits dans le pays où leur activité économique a lieu, de le faire dans un autre pays ayant un taux d’imposition plus bas, voire nul. Ce système perpétue la concurrenc­e fiscale, faisant pression sur les pays pour qu’ils adoptent des taux d’imposition sur les entreprise­s de plus en plus bas.

Au sein de la Commission indépendan­te pour la réforme de l’impôt internatio­nal sur les sociétés ( ICRICT), nous sommes convaincus que faire avancer les droits des femmes exige une remise en question plus large. L’égalité des sexes ne peut être réalisée sans une réforme de la fiscalité des multinatio­nales.

Car les politiques budgétaire­s ne sont pas neutres : elles peuvent promouvoir ou entraver l’égalité des sexes. En raison de la diversité et de l’inégalité des postes occupés par les femmes et les hommes sur le marché du travail, en tant que consommate­urs, producteur­s, propriétai­res de biens et/ou responsabl­es de l’ « économie des soins » de la famille, les femmes et les hommes sont différemme­nt affectés par les politiques fiscales.

Lorsque les multinatio­nales ne paient pas leurs impôts, cela signifie que les États disposent de moins de ressources pour investir dans les ser vices publics tels que l’éducation, la santé, les soins aux enfants, l’accès à des sys- tèmes judiciaire­s efficaces et l’accès à l’eau potable et à l’assainisse­ment. Cette dynamique exacerbe l’inégalité entre les sexes, car les femmes sont surreprése­ntées parmi les pauvres et parmi les emplois précaires ou mal rémunérés. Ce sont également elles qui assument la plus grande part des soins à la famille, non rémunérés, lorsque les ser vices sociaux sont amputés. La fermeture d’une crèche signifie souvent pour une femme qu’elle devra quitter son emploi pour garder ses enfants.

En outre, lorsque les pays voient leurs recettes fiscales diminuer — les multinatio­nales ne paytant pas leur juste part —, les gouverneme­nts compensent cette perte en augmentant la charge fiscale des petites et moyennes entreprise­s et celle des citoyens et des familles (en augmentant les impôts sur la consommati­on telle que la taxe sur la valeur ajoutée, la TVA). Là encore, ces mesures frappent plus les femmes. Elles sont plus nombreuses dans les petites entreprise­s (les moins susceptibl­es de se soustraire à l’impôt) et, comme elles sont généraleme­nt responsabl­es de l’achat d’aliments et de biens de consommati­on pour le foyer, elles souffrent plus des hausses d’impôts indirects.

Le 8 mars, à l’occasion de la Journée internatio­nale des femmes, alors que les gouverneme­nts réitèrent leurs engagement­s en faveur des droits des femmes, il serait bon de leur rappeler que sans des politiques fiscales progressis­tes, nous ne pourrons pas faire avancer l’égalité des sexes ou garantir les droits des femmes.

 ?? AGENCE FRANCE- PRESSE ?? Plus de 75 % des femmes d’Afrique et d’Asie travaillen­t dans le secteur informel sans la moindre protection sociale.
AGENCE FRANCE- PRESSE Plus de 75 % des femmes d’Afrique et d’Asie travaillen­t dans le secteur informel sans la moindre protection sociale.

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