Le Canada a tout à perdre d’un conflit commercial
Donald Trump entraîne les autres pays en dehors des sentiers de la règle de droit
Le Canada a tout à perdre dans un conflit de l’acier et de l’aluminium où chacun déciderait de se faire justice soi-même en violation complète des règles commerciales internationales.
La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a prévenu les ÉtatsUnis lundi que le Canada ne restera pas les bras croisés s’ils vont de l’avant avec leurs menaces de tarifs douaniers sur les importations d’acier et d’aluminium. « Si des restrictions devaient être imposées sur l’acier et l’aluminium canadiens, le Canada prendra des mesures appropriées et rapides pour défendre nos intérêts commerciaux et nos travailleurs » , a- t- elle déclaré en tombée de rideau de la 7e réunion de renégociation de l’Accord de libre-échange nordaméricain ( ALENA) à Mexico, sans toutefois préciser quelle forme pourraient prendre ces mesures de défense ou de représailles contre les nouveaux tarifs américains, qui n’ont toujours
« Les règles commerciales internationales » ne permettent pas de se faire justice soi-même Richard Ouellet, professeur à l’Université Laval
pas été officialisés, mais qui devraient l’être, diton, cette semaine ou la semaine prochaine.
Plus explicite, l’Union européenne a promis qu’elle porterait l’affaire devant le tribunal de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mais aussi qu’elle imposerait sans délai pour près de 3 milliards d’euros de sanctions commerciales sur peut-être plus d’une centaine de produits américains choisis exprès pour avoir le maximum d’im- pact économique et politique aux États-Unis, tels que les motos Harley-Davidson du Wisconsin, le bourbon du Kentucky et les jeans Levi’s de la Californie. La Chine s’est aussi dite prête à adopter des « taxes réciproques » si les Américains s’en prennent à elle. Le Mexique a ajouté sa voix à ce concert, rapportait mardi l’Agence France-Presse, son ministre de l’Économie, Ildefonso Guajardo, menaçant le voisin américain de « prendre des mesures » qui viseraient les produits exportés américains « les plus dommageables politiquement ».
Éviter le Far West
« Les règles commerciales internationales ne permettent pas de se faire justice soi-même », rappelle Richard Ouellet, professeur de droit international économique à l’Université Laval. La façon normale de faire serait d’attendre que les ÉtatsUnis appliquent leurs tarifs et d’en saisir les mécanismes de règlements des différends de l’OMC ou de l’ALENA. Ces tribunaux commerciaux internationaux sont les seuls à avoir le pouvoir de déter- miner si un pays membre a manqué à ses engagements et de permettre aux pays lésés d’exercer des représailles commerciales équivalentes.
Ce processus prend du temps, évidemment, et les représailles commerciales ne peuvent pas être utilisées pour compenser les pertes subies jusque-là, note Geneviève Dufour, professeure de droit international économique à l’Université de Sherbrooke.
Il n’est pas certain non plus que les États-Unis perdraient cette cause, poursuit-elle. Le gouvernement Trump base, cette fois-ci, son action sur une obscure disposition non invoquée depuis des années permettant à un pays de protéger la survie d’une industrie au nom de sa sécurité militaire. « C’est très astucieux, observe l’experte. Sur le plan du droit commercial, cette disposition a l’avantage d’avoir des règles extrêmement floues qui laissent beaucoup de liberté. Sur le plan de la politique intérieure américaine,
elle a aussi l’avantage, pour Donald Trump, de relever exclusivement des pouvoirs du président. »
La réaction des autres pays et la nature très ciblée de leurs menaces de représailles montrent bien que tout le monde a compris que les motifs du gouvernement américain sont pour une large part électoralistes et enracinés dans un certain rejet d’un commerce fondé sur la règle de droit. C’est justement en raison de ce contexte que ce serait une erreur, dit Geneviève Dufour, de faire l’impasse sur les règles du commerce international et de se jeter tête baissée dans la guerre des tarifs douaniers. « Ce serait aller exactement là où Donald Trump cherche à tous nous entraîner. »
Les intérêts du Canada
Les choses pourraient tourner encore plus mal. « J’avoue avoir peur qu’une escalade du conflit donne au gouvernement Trump l’excuse de sortir les États-Unis de l’OMC », dit Richard Ouellet, qui rappelle le travail de sape que Washington mène déjà contre son tribunal d’appel.
Une telle situation serait une catastrophe pour le Canada. « Une puissance moyenne comme la nôtre a tout à gagner dans un système multilatéral qui assure le respect de la règle de droit sur la scène internationale. »
Le Canada privilégie tellement la recherche d’ententes et de compromis que la plupart des fois que les tribunaux inter- nationaux lui ont accordé le droit de recourir à des sanctions commerciales, il ne s’en est même pas prévalu, rapporte l’expert, qui a notamment en tête un conflit avec le Brésil dans le secteur aéronautique. « On verra ce qu’il fera cette fois », ditil, tout en espérant qu’il saura éviter de tomber dans les pièges tendus par son voisin.