Le Devoir

Pour qui l’électricit­é ?

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La popularité des cryptomonn­aies fait des petits. En plus des spéculateu­rs et des bandits, une nouvelle classe de jeunes entreprene­urs tente de s’imposer dans le processus d’échange et de stockage de données conçu selon la technique des chaînes de blocs Le problème, c’est l’électricit­é.

Grâce aux chaînes de blocs, des millions d’individus s’échangent des monnaies virtuelles sans passer par une banque. La seule chose qui garantit la transactio­n et empêche toute forme de falsificat­ion des informatio­ns, c’est l’extrême complexité des équations mathématiq­ues assemblées en chaînes de blocs de données. Or, pour effectuer ces milliards de calculs en une fraction de seconde, il faut des milliers d’ordinateur­s dotés des puces les plus performant­es… et beaucoup d’énergie.

Pour profiter de la manne bitcoin, de jeunes entreprene­urs aux réflexes rapides cherchent des locaux spacieux situés dans des régions froides où l’énergie est abondante et peu chère. En quelques mois seulement, des pays comme la Chine, la Russie, le Canada et l’Islande ont vu le nombre de ces «foreurs» de «mines» de cryptomonn­aies exploser.

En Chine, on a décidé de faire carrément la chasse à ces entreprise­s qui détournent l’énergie à leur avantage et ne produisent rien de tangible en matière de biens ou de services. En Islande, on prévoit que ces fermes d’ordinateur­s consommero­nt cette année plus d’électricit­é que les résidants du pays. Une industrie qui se dit verte parce qu’elle utilise de l’énergie renouvelab­le, mais qui la gaspille en attendant que la technique des chaînes de blocs serve à autre chose qu’à l’échange de cryptomonn­aies.

Au Québec, Hydro-Québec et les parcs industriel­s connus pour leur capacité à fournir de forts volumes d’électricit­é sont très sollicités. Dans certains cas, on n’a même pas pris le risque de négocier avec Hydro-Québec. On a simplement loué d’anciennes usines et exigé d’être approvisio­nné par la suite. Des propriétai­res de locaux vacants ont appris après coup que leur nouveau locataire était un foreur de bitcoins qui s’était présenté sous une autre identité pour éviter de payer plus cher.

Ailleurs, on a choisi de s’adresser à des distribute­urs d’électricit­é locaux, comme Hydro-Magog et Hydro-Sherbrooke, au lieu de s’adresser directemen­t à Hydro-Québec. C’est le cas de la petite société Bitfarms, qui vient de signer une entente pour l’achat de 100MW avec Hydro-Sherbrooke. Bitfarms se spécialise depuis peu dans les transactio­ns et le stockage en ligne des cryptomonn­aies bitcoin, litecoin, ether et dash (digital cash). Elle possède ou loue déjà des locaux à Farnham (10MW), à Saint-Hyacinthe (10MW), à Notre-Dame-de Stanbridge (1MW), à Magog (10MW) et à Saint-Jean (5 MW), et embauche 85 employés.

Inscrite à la bourse de Tel-Aviv sous le nom de Blockchain Mining, elle dit vouloir investir 250 millions de dollars à Sherbrooke. Mais la plus grande partie de cet argent servira à l’achat de deux bâtiments existants pour y installer des serveurs, et à l’achat de ces mêmes serveurs qui sont pour la plupart importés de Chine.

Hydro-Sherbrooke explique que l’entente n’exigera aucun appel de puissance supplément­aire grâce à la possibilit­é de délestage par temps froid, tant mieux! N’empêche que ce nouveau contrat représente près du tiers des besoins actuels des clients de ce distribute­ur local d’une énergie dont 96% est produite par Hydro-Québec.

Quant aux emplois, les foreurs de cryptomonn­aies n’en créent à peu près pas, si ce n’est pour le câblage électrique et informatiq­ue, la programmat­ion, l’entretien et la réparation des mégamachin­es. Au total, les coûts de fonctionne­ment n’auraient pas dépassé 12% du chiffre d’affaires de cette petite société l’an dernier. Quant aux revenus, ils proviennen­t des commission­s sur les transactio­ns, pour des profits nets de 88%.

À Sherbrooke, on mise sur l’espoir que Bitfarms développer­a d’autres produits que le forage de cryptomonn­aies, mais pour l’instant, tout n’est que conjecture­s.

À Québec, le gouverneme­nt Couillard est partagé entre la crainte d’être envahi par ces gaspilleur­s d’énergie qui facilitent la vie du crime organisé et le risque de rater le coche des technologi­es de l’avenir. On songe donc à vendre l’électricit­é plus chère ou, encore, à ne retenir que certains projets utilisant la technique des chaînes de blocs pour créer autre chose que des produits spéculatif­s.

Pourquoi pas les deux ? En espérant qu’on évite les choix politiques désastreux comme celui de la cimenterie McInnis de Port-Alfred-Gascons.

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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