Le Devoir

Une huitième année de guerre débute

Le bain de sang se poursuit au quotidien face à l’impuissanc­e de la communauté internatio­nale

- TONY GAMAL-GABRIEL à Beyrouth

La Syrie, en ruine et morcelée, entre jeudi dans sa huitième année de guerre, débarrassé­e du groupe État islamique (EI) mais toujours ensanglant­ée par la lutte d’influence entre les puissances étrangères et la tentative de reconquête du régime de Bachar al-Assad.

«Aujourd’hui, le régime contrôle plus de la moitié du territoire, il tient les grandes villes […] il est clair qu’il a gagné», déclare, catégoriqu­e, l’expert sur la Syrie Fabrice Balanche.

Armes chimiques, massacres de civils, accusation­s de crimes de guerre: les pires atrocités ont été commises tout au long des sept ans de ce conflit qui a fait plus de 350 000 morts depuis le 15 mars 2011. Et le bain de sang se poursuit au quotidien face à l’impuissanc­e de la communauté internatio­nale.

Ce conflit a débuté dans le cadre du Printemps arabe avec des manifestat­ions pro-démocratie violemment réprimées par le régime. Le mouvement s’était alors transformé en insurrecti­on armée, après l’apparition de factions rebelles.

Au fil des sept ans, la guerre s’est complexifi­ée avec la participat­ion de puissances étrangères comme la Russie, la Turquie et les ÉtatsUnis notamment, plusieurs fronts déchirant toujours le pays.

C’est le cas notamment dans l’enclave kurde d’Afrine (nord-ouest), cible depuis le 20 janvier d’une offensive de la Turquie contre une milice kurde considérée comme «terroriste» par Ankara, mais qui, alliée à Washington, a joué un grand rôle dans la lutte antidjihad­iste.

La déchéance du groupe EI

En effet, le 7e anniversai­re du conflit est aussi marqué par la déchéance des djihadiste­s du groupe EI, après sa montée en puissance fulgurante en 2014 et la conquête de vastes territoire­s.

Défait en Irak, le groupe ultraradic­al, responsabl­e de multiples attentats dans la région et au-delà, est aujourd’hui acculé dans quelques poches sur le sol syrien.

La ville de Raqqa, sa capitale de facto dans le nord, a été conquise en octobre par les Forces démocratiq­ues syriennes (FDS), l’alliance de combattant­s kurdes et arabes soutenue par Washington.

Il sera «très difficile pour le groupe EI de se remettre debout», estime Joshua Landis, spécialist­e de la Syrie et professeur à l’Université d’Oklahoma.

La fin des grandes batailles contre les djihadiste­s permet désormais aux puissances internatio­nales et régionales de se concentrer sur l’élargissem­ent de leur sphère d’influence en Syrie.

Une Syrie fragmentée

«La tendance principale va être la division de la Syrie », dit M. Landis, en désignant notamment les États-Unis, soutien des forces kurdes, mais aussi la Turquie, appui traditionn­el des rebelles.

Dans le nord-est se trouvent les territoire­s semi-autonomes kurdes, où sont stationnée­s des troupes de Washington. Dans le nord-ouest, Ankara soutient des rebelles dans la province d’Idleb et d’Alep, et mène avec des insurgés syriens l’offensive contre la région kurde d’Afrine.

«L’influence turque et américaine, sur le terrain en Syrie, va continuer à s’étendre», confirme Nicholas Heras, expert au Center for a New American Security à Washington.

Un état de fait qui n’empêche pas le régime syrien de vouloir reconquéri­r l’intégralit­é du pays.

D’abord très affaibli, le pouvoir de Damas a pu changer la donne grâce au soutien militaire de la Russie, son allié indéfectib­le intervenu à ses côtés fin 2015.

Le régime a déjà reconquis plus de la moitié du pays, multiplian­t les victoires face aux rebelles et aux djihadiste­s. Fin 2016, la capture totale d’Alep (nord), deuxième ville de Syrie et ancien poumon économique du pays, avait constitué un tournant symbolique.

«Le fait que M. Assad ait repris Alep et qu’il contrôle Damas, les gens se disent que la révolution est finie, qu’il a gagné le conflit. Psychologi­quement, cela a un gros impact», résume M. Balanche, analyste auprès de l’Institut Hoover de l’Université de Stanford.

Si le régime espère «un rythme accéléré pour reconquéri­r toute la Syrie», Moscou agit avec l’idée qu’en 2018, «la fragmentat­ion de la Syrie va se consolider », estime M. Heras.

Le conflit, sans merci pour les civils, a jeté sur la route de l’exil une grande partie de la population : plus de cinq millions de réfugiés ont dû partir à l’étranger, et au moins six millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays.

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