Le Devoir

Une riposte promise aux effets incertains

La situation actuelle ressemble à ce qui prévalait il y a un an

- SARAH R. CHAMPAGNE

Le scénario semble presque usé, calqué jusqu’à maintenant sur celui d’avril 2017, il y a un an presque jour pour jour. Une attaque chimique, attribuée rapidement au régime du président syrien, Bachar al-Assad, par ses détracteur­s. Une escalade verbale s’ensuit, entre alliés du régime et puissances de l’autre camp. Puis, un blocage au Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie opposant son veto dans le tumulte d’un dialogue de sourds, pour la 12e fois.

La riposte occidental­e aux attaques chimiques présumées en Syrie serait imminente, selon le président américain, Donald Trump. Une riposte qui s’annonce vaine et

son impact, limité, selon plusieurs analystes, dont le professeur Thomas Juneau. Cette frappe à venir pourrait cependant reposition­ner les ÉtatsUnis dans cette guerre qui dure depuis sept ans, croit quant à lui le politologu­e Sami Aoun.

Les tirs croisés étaient encore, au moment d’écrire ces lignes, confinés à Twitter et au Conseil de sécurité des Nations unies. Le président Trump a accusé la Russie d’être le partenaire d’un «animal qui tue son peuple avec du gaz et qui aime cela», faisant référence au président al-Assad. Dans une déclaratio­n, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a qualifié l’attaque présumée de samedi dernier de «mise en scène» destinée à protéger les terroriste­s.

L’ampleur des représaill­es ne s’était donc pas encore éclaircie. «Au point où l’on en est, quelle que soit la décision que Trump prendra, il n’y a aucune bonne option. Quoi qu’il fasse, ça aura un impact limité sur le conflit et ne changera pas l’équilibre des forces en présence», affirme le spécialist­e du Moyen-Orient et professeur à l’Université d’Ottawa Thomas Juneau.

Les frappes chirurgica­les du 7 avril 2017, en réponse aux attaques chimiques sur des civils de la ville de Khan Cheikhoun, «n’ont visiblemen­t pas dissuadé Assad d’utiliser des armes chimiques», remarque-t-il, écartant ainsi la possibilit­é d’un effet dissuasif. Aucun «scénario ne permettrai­t aux États-Unis de faire une différence sur le conflit», dit ainsi M. Juneau.

«Si la frappe se déroule plutôt dans des séquences de trois ou quatre jours, à l’image de l’opération Renard du désert en Irak en 1998, elle pourrait affaiblir assez le régime pour l’obliger à retourner aux négociatio­ns de Genève», ajoute quant à lui le professeur à l’Université de Sherbrooke Sami Aoun. Mais si la riposte américaine se borne à un «acte de revanche et de discipline», elle ne changera pas le cours de la guerre, dit-il.

Puissances en terrain étranger

Tel un «déjà-vu», les photos d’enfants asphyxiés et de civils en fuite dans un nuage réputé toxique se répètent. Que les attaques s’avèrent ultérieure­ment confirmées ou non, ce nouveau cortège funèbre remet de la pression sur le président américain.

Son prédécesse­ur, Barack Obama, avait tracé, le 20 août 2012, cette «ligne rouge», faisant planer la menace «d’énormes conséquenc­es» si le régime d’al-Assad employait des armes chimiques. Une ligne rouge que l’on sait aujourd’hui maintes fois franchie, sans pour autant forcer un engagement significat­if des Américains en Syrie.

La perspectiv­e d’une action militaire des ÉtatsUnis, soutenus par la France et probableme­nt le Royaume-Uni, s’inscrit cette fois dans un contexte extrêmemen­t difficile entre l’Occident et la Russie, principal allié du président syrien. Quant au Canada, le premier ministre Justin Trudeau n’entend pas participer à une nouvelle action militaire contre le régime de Bachar al-Assad, selon RadioCanad­a.

Les relations ont déjà été passableme­nt dégradées par l’affaire de l’ex-espion russe Sergueï Skripal empoisonné par un agent innervant en Angleterre le 4 mars.

«Le scénario le plus crédible est que les Américains veuillent consolider leurs acquis dans l’est de la Syrie, une partie du territoire sous contrôle des Kurdes et de quelques groupes arabes connus pour leur loyauté à l’Arabie saoudite», croit M. Aoun. Il y voit aussi une «montée de lait des démocratie­s occidental­es de mettre une limite à Poutine “l’effronté”, qui est allé loin dans la déstabilis­ation et l’humiliatio­n, maintenant dans l’affaire Skripal».

La possibilit­é d’une ingérence russe dans l’élection présidenti­elle de 2016 fait en effet présenteme­nt l’objet d’une enquête.

«Il faut faire attention à ne pas pousser le cynisme trop loin. On ne peut pas prouver qu’un président veut détourner l’attention des problèmes internes, mais on peut le suggérer», commente le professeur Juneau. Donald Trump veut, dans tous les cas, «démontrer qu’il est plus fort et plus dur que le président Obama», ajoute-t-il.

La guerre continue

L’appui de la Russie, notablemen­t de sa force aérienne, ainsi que de l’Iran a contribué à sécuriser une partie significat­ive du territoire aux mains du régime d’al-Assad dans les deux dernières années. Ainsi, l’ouest du pays, cette « Syrie utile » qui regroupe plus de 80% de la population et contient les cinq villes principale­s, est considéré sous contrôle officiel depuis la reconquête complète d’Alep en décembre 2016.

La fin des combats est encore loin malgré cela, répète M. Juneau. «Oui, l’opposition diminue en termes de territoire­s qu’elle contrôle. Certains groupes ont quitté la Ghouta dans les dernières semaines, mais il reste des milliers de combattant­s [du groupe] État islamique très expériment­és et convaincus», observe-t-il.

L’autre certitude, partagée par M. Aoun, est que la chute du président al-Assad est hautement improbable. «On n’a aucun indice d’une vision articulée et globale du gouverneme­nt Trump de la Syrie, et de la région, affirme-t-il, mais quand on s’engage dans une guerre, on n’est surtout pas sûrs que les plans décidés à l’avance ne changeront pas en cours de route. L’imprévisib­ilité est une certitude.»

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SYRIA CIVIL DEFENCE/AGENCE FRANCE-PRESSE L’attaque chimique attribuée au régime de Bachar al-Assad a soulevé l’ire de la communauté internatio­nale.

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