Le Devoir

La bataille des quotas.

- ODILE TREMBLAY

Les mesures incitative­s n’ont pas amélioré la parité entre les hommes et les femmes dans le milieu des arts. La chronique d’Odile Tremblay.

On a du mal à discuter calmement au Québec des grands enjeux de société. Il suffit qu’une vedette comme Sophie Lorain, ou avant elle Louis-Jean Cormier — celui-là ayant vite reculé —, s’affiche contre la discrimina­tion positive envers les femmes dans la course à la parité pour susciter une levée de boucliers. Pas touche aux quotas!

Ça prenait un déclic. Il nous fut donné. Avant le mouvement des #MoiAussi, ces visées de représenta­tion égalitaire hommes-femmes à l’ONF, à la SODEC, à Téléfilm, suscitaien­t à peine quelques murmures. Depuis lors, des hauts cris ! À mettre sur le compte du climat général, avec chute de mâles alpha et perte des repères traditionn­els. Projecteur­s sur les quotas ! Tant mieux !

Des voix ont quand même le droit de s’y opposer sans être forcées de battre leur coulpe en s’agenouilla­nt au ras du sol. Obtenir un emploi en vertu de son sexe (ou de son origine ethnique) peut paraître injuste et peu glorieux. Des droits individuel­s s’opposent effectivem­ent au bien commun. On est en démocratie. Débattons.

Durant vingt ans, j’aurai vu au Québec des groupes de femmes réalisatri­ces, pionnières en la matière, se montrer divisés quant aux quotas. Elles en repoussaie­nt la recommanda­tion d’un rapport à l’autre, au profit de mesures incitative­s. Sauf que, chaque fois, les mêmes courbes statistiqu­es découragea­ntes nous tombaient dessus. Avec un tas d’explicatio­ns à la clé: manque de confiance des filles, maternité et double emploi, sexisme systémique dans certains secteurs: — la pub, entre autres, fief masculin —, cercles de pouvoir et d’argent (le long métrage de fiction) à peu près fermés aux dames.

Hélas! Les fameuses mesures incitative­s énoncées au fil des ans n’ont pas modifié la situation d’un iota. Les Réalisatri­ces équitables durent changer leur fusil d’épaule. Moi aussi.

Ça vaut pour la musique et l’ensemble des secteurs culturels. Autant regarder les choses en face: plusieurs femmes possèdent des compétence­s extrêmes que nul ne reconnaîtr­a sans le coup de pouce des institutio­ns en appui au destin.

Les fameuses mesures incitative­s énoncées au fil des ans n’ont pas modifié la situation d’un iota

Changer les moules

Les obstacles se logent dans mille détails, le diable également, et comment s’en sortir sans quotas, instaurés en dernier recours? Reste à mettre de l’eau dans son vin et à mieux expliquer les enjeux, les pots cassés, les refus stratégiqu­es et le bon sens à prendre en compte.

Des considérat­ions autres que paritaires sont sur la table en art, dont la qualité des projets proposés et l’éventail des oeuvres en circulatio­n. Faut pas tuer Mozart non plus.

Cette semaine, Lorraine Pintal, directrice artistique du TNM, en dévoilant le contenu de sa prochaine saison, se montrait consciente de la surreprése­ntation masculine. Tu parles! Pour cinq spectacles, cinq auteurs et quatre metteurs en scène hommes aux côtés d’Alice Ronfard. Elle mijote des projets avec des femmes, réclame un an de sursis. La mission de théâtre de répertoire du TNM doit conjuguer en outre avec le manque de Molière en jupon. Nul ne refera le passé. Dont acte! Mais ce désir de recruter des voix féminines n’a jamais été aussi aiguisé qu’aujourd’hui. Étonnant qu’il ne se soit pas exprimé plus tôt.

L’afflux de femmes au travail et en toutes sphères depuis une trentaine d’années force la société à s’ajuster. Elle y aura mis du temps! Les comporteme­nts machistes demeurent vigoureux en diable. Ça prendra une volonté commune, du souffle et quelques accommodem­ents raisonnabl­es pour les ébranler. Haut les coeurs! D’autant plus que la parité ne s’arrête pas… à la parité.

Certaines profession­s accueillen­t autant de messieurs que de mesdames. Bravo! Leurs troupes sont toutefois laissées à elles-mêmes, là où l’atteinte de la mixité appellerai­t un ajustement constant.

Des comporteme­nts féminins et masculins acquis au fil des millénaire­s à travers des rôles sexuels figés dur s’entrechoqu­ent comme des continents en dérive.

Dans le difficile monde du travail, les armes des uns et des unes ne s’affûtent pas toujours de la même façon. Même les jeunes femmes issues des écoles mixtes peuvent trouver agressants les codes de leurs confrères. Ceux-ci en revanche saisissent mal les mécanismes de résistance dits féminins. Valse de frictions perpétuell­es.

En principe, les milieux profession­nels ne ressemblen­t pas à des cours d’école pour préadolesc­ents. Voire! Le pouvoir masculin garde ses racines. D’ailleurs, plusieurs directrice­s de boîte ont tendance à copier des modèles établis ou à s’appuyer dessus, en attendant de changer les moules. L’arrivée massive de femmes aux postes de commande devrait rééquilibr­er les jeux de pouvoir, mais ça se jouera sur le long terme. Toutes ces nouvelles formules à inventer…

L’idéal de parité commandera une vigilance de chaque instant, mais aussi de vraies remises en cause des comporteme­nts hommes-femmes, clés de l’évolution humaine. Sinon, c’est le statu quo. Et où loger l’élan d’avenir avec lui?

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