Le Devoir

La vérité posthume

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Il est toujours un peu gênant d’entendre glorifier un défunt qu’on s’était employé à noircir de son vivant, comme c’est régulièrem­ent le cas en politique. Encore mardi, lors d’un échange à l’Assemblée nationale sur le port de signes religieux, le premier ministre Philippe Couillard s’est réclamé de René Lévesque, alors que les libéraux avaient comparé la Charte de la langue française aux lois nazies lors de son adoption.

À l’inverse, les péquistes opposent régulièrem­ent la mollesse de M. Couillard face à Ottawa à la prétendue fermeté de Robert Bourassa, dont ils ne cessaient de dénoncer l’aplaventri­sme quand il était premier ministre.

Mercredi, le dévoilemen­t par Le Journal de Montréal du «testament» de l’ancien ministre de l’Économie Jacques Daoust a eu pour effet de faire découvrir aux uns et aux autres les mérites d’un homme qu’on n’avait pas hésité à traîner dans la boue.

«Ce que j’apprends, moi, ce matin, dans le testament, c’est qu’il était opposé à la vente des actions d’Investisse­ment Québec dans Rona », a déclaré Jean-François Lisée.

Le chef du PQ vient de l’apprendre? Où diable était-il, à l’été 2016, quand M. Daoust s’époumonait à clamer son innocence ? «Jacques Daoust peut bien répéter à qui veut l’entendre qu’il n’a jamais autorisé cette transactio­n, mais nous ne sommes pas dupes […] Jacques Daoust a outrageuse­ment et délibéréme­nt menti aux parlementa­ires», avait déclaré son vis-à-vis péquiste, Alain Therrien.

François Legault s’est dit «attristé» par le testament de M. Daoust et «choqué» par la réaction du premier ministre Couillard, mais la CAQ faisait aussi partie de ses détracteur­s en 2016. «M. Daoust a menti aux journalist­es, aux parlementa­ires et aux Québécois, il doit démissionn­er », avait lancé François Bonnardel.

M. Couillard accuse aujourd’hui les partis d’opposition d’avoir sali la réputation de M. Daoust, mais il avait lui-même laissé entendre que son ministre ne lui avait pas dit la vérité, justifiant ainsi son renvoi.

Dans son testament, l’ancien ministre estime clairement avoir été victime des manigances du bureau du premier ministre, plus précisémen­t de son chef de cabinet, qui a voulu lui faire porter le chapeau pour une décision qu’il réprouvait. S’il avait accepté de mentir pour couvrir le méfait de son patron, il aurait conservé son poste, croit-il.

M. Daoust avait sans doute ses défauts, mais il n’était pas tombé de la dernière pluie. Il était peut-être un novice en politique, mais il était un vétéran de l’administra­tion publique et connaissai­t parfaiteme­nt la ligne d’autorité au sein du gouverneme­nt.

Si son propre chef de cabinet, Pierre Ouellet, s’est senti autorisé à donner le « OK » à Investisse­ment Québec pour la vente de Rona, alors que lui-même s’y opposait, c’est qu’il avait consulté son véritable patron, c’est-à-dire le chef de cabinet du premier ministre, Jean-Louis Dufresne. Encore aujourd’hui, M. Couillard soutient que personne à son bureau n’était au courant de cette transactio­n, mais cela est tout simplement inconcevab­le.

Après la démission de M. Daoust, les libéraux se sont opposés à ce qu’il comparaiss­e devant la commission parlementa­ire convoquée pour tirer l’affaire au clair, tout comme ils ont refusé d’entendre Jean-Louis Dufresne, l’ancien patron de Rona, Robert Dutton, et l’ancien ministre des Finances, Raymond Bachand. De toute évidence, on trouvait que le chapeau faisait très bien à l’ancien ministre. La vente d’une entreprise aussi structuran­te n’en demeure pas moins une tache gênante sur le bilan économique du gouverneme­nt.

En 2014, M. Couillard avait été très heureux de recruter un ancien président d’Investisse­ment Québec pour compléter son trio économique, aux côtés de Carlos Leitão et de Martin Coiteux, mais la cote de M. Daoust avait rapidement baissé au bureau du premier ministre, où on jugeait que ce «banquier» ne faisait pas très moderne à l’heure de la nouvelle économie.

Un de ses fils a déclaré que «certains aimaient moins» son père et qu’ils ont fait en sorte d’avoir sa tête. C’est manifestem­ent ce que pensait M. Daoust, qui attribuait sa disgrâce à son «indépendan­ce intellectu­elle et financière ».

Il est vrai que, derrière une solidarité de façade, il ne se gênait pas pour dire ce qu’il pensait de son gouverneme­nt. En privé, il était très critique de ses politiques d’austérité, qualifiant volontiers d’«idéologue» son collègue du Conseil du trésor.

Après sa mutation aux Transports, sa position dans le dossier Uber a également déplu. Au conseil général de mai 2016, la Commission jeunesse avait présenté la multinatio­nale de San Francisco comme la huitième merveille du monde. M. Daoust voyait plutôt une entreprise délinquant­e qui se croyait au-dessus des lois. Une faction du PLQ projetait de contester son investitur­e dans Verdun à la prochaine élection. M. Couillard a réglé le problème autrement.

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